Des zones d'ombre planent sur l'assassinat de Abdel Fattah Younès, le général transfuge de l'armée du colonel Kadhafi qui a pris la tête de la rébellion armée à Benghazi dès le début du conflit en Libye. Les informations les plus contradictoires ont circulé jusque-là sur l'identité des auteurs matériels et des commanditaires de cet attentat. A chaud, les membres des services secrets du régime libyen experts en attentats contre les opposants ont été les premiers à être pointés du doigt. A Benghazi, on n'exclut plus que cet assassinat soit l'œuvre d'une branche radicale des insurgés en phase de dissidence interne. L'image d'«agent» au service du régime de Tripoli a toujours collé à la peau du général rebelle. Personne n'exclut non plus la possibilité que les services secrets français, omniprésents à Benghazi, aient pu planifier, du moins joué un rôle, dans la liquidation du chef d'état-major des insurgés. En Libye la guerre est loin d'être terminée, mais on songe déjà, en Occident, à placer ses pions dans l'échiquier politique de l'«Après-Kadhafi». La course à la succession de Kadhafi a-t-elle été lancée à Benghazi ? Une première certitude pour le moment : le général Abdel Fattah Younès n'est pas mort au combat mais assassiné à un moment où le conflit libyen est dans une phase d'impasse et des grandes interrogations. La rébellion a, certes, gagné du terrain grâce à l'appui aérien et au parachutage des armes assuré par la France, et peut encore avancer vers Tripoli. L'«après-Kadhafi» Ces progrès militaires sur le terrain n'apportent aucune garantie que le pouvoir est à portée de main de la rébellion. Les «alliés» eux-mêmes ne croient plus à la capacité des insurgés à remporter une victoire nette sur leurs adversaires, restés fidèles à Kadhafi et encore moins à la légitimité suffisante du Conseil national de transition (CNT) qu'ils ont mis en place à Benghazi pour conduire l'ère de «l'après-Kadhafi». Le coordinateur du CNT, Mustapha Abdeljalil, qui a fait toute sa carrière dans l'antichambre de Kadhafi, tout comme le général Abdel Fattah Younes, n'est pas l'homme de consensus national déjà qu'il est lui-même contesté par un large courant de l'insurrection. Les divisions ont vite apparu entre les adversaires du régime de Tripoli moins de cinq moins après le début du conflit. Les anciens caciques du régime sont ceux qui inspirent le moins de confiance au sein du courant insurrectionnel composé de toutes les tendances politiques et idéologiques qui existent dans un pays où le nationalisme est trop ancré dans les mœurs pour s'accommoder durablement de l'intervention militaire occidentale directe. Les pays occidentaux sont jusqu'à l'heure actuelle perçus sans discernement dans la rue arabe comme les alliés objectifs d'Israël. Leurs hésitations à se prononcer en faveur de la proclamation de l'Etat de Palestine en septembre prochain à l'ONU en est la preuve irréfutable. Il faut se rappeler que la présence de Gi's en Arabie Saoudite durant la première guerre du Golfe, en 1991, est à l'origine de la montée du sentiment anti-américain dans le pays de Ben Laden. En Libye, c'est pareil, même si les «alliés» ont tiré la bonne leçon de l'expérience américaine en terre sainte saoudienne en préférant ne pas se hasarder dans une opération militaire au sol. Les divisions au sein de la rébellion Tous les courants de l'insurrection ne partagent plus les objectifs poursuivis par la coalition militaire internationale dans leur pays. Les divergences ont commencé à se faire plus nettes sur la contrepartie de cette assistance militaire. Personne n'est dupe à Benghazi que les Occidentaux sont à la recherche d'un pétrole léger en soufre et à bon marché. Ces divergences se sont accentuées parmi les membres du CNT depuis que les alliés ont affirmé ne pas voir d'inconvénient que le colonel Kadhafi puisse rester dans son pays mais pas au pouvoir. Beaucoup de «pour» et une majorité de «contre». Pour les «djihadistes» d'Irak et d'Afghanistan, ennemis irréductibles des Occidentaux, le débat de fond porte, comme en Egypte avec la montée au créneau des Frères musulmans, sur la place qui reviendra au courant islamiste dans le système de l'«après-Kadhafi». Ils n'ont pas oublié que le général assassiné, Abdel Fattah Younès, a combattu les «frères» que Mustapha Abdeljalil a jetés en prison pour les condamner à mort. A leurs yeux, l'économiste Mahmoud Jibril, devenu Premier ministre du gouvernement du CNT et les opposants de première heure au colonel Kadhafi sont les hommes des Américains. Ces divisions plus ou moins contenues pendant les trois premiers mois du conflit font surface aujourd'hui alors que s'éloigne l'idée d'une victoire militaire sur Tripoli. L'assassinat du général Younès pourrait être perçu comme le signal d'une rupture de la cohésion de la rébellion. Dans ce cas, la main des puissances occidentales n'est pas étrangère, leurs intérêts économiques et géostratégiques en Libye et au Maghreb en général étant considérables.