Les nouvelles autorités libyennes annonceront samedi la "libération" du pays, malgré les incertitudes sur le sort de la dépouille de Mouammar Kadhafi et sur les circonstances de sa mort. La mort jeudi de l'ancien homme fort de la Libye et la prise de Syrte, sa ville natale, ont mis un point final à une révolution, suivie d'une guerre civile et d'une intervention militaire extérieure, déclenchée il y a huit mois. Prévu jeudi, puis vendredi, le "discours de libération" sera finalement prononcé samedi à Benghazi, berceau de la révolution, par le président du CNT Moustapha Abdeljalil. Il marquera le début du calendrier vers l'établissement d'un régime démocratique. La fuite vers le Niger de Saïf al-Islam, ex-dauphin présumé du "guide", et d'Abdallah al Senoussi, l'ancien chef des services de renseignement, laisse toutefois un goût amer aux nouvelles autorités. Le corps de Kadhafi, conservé sous haute garde à Misrata dans une chambre froide, le contrôle des armes de l'ancien régime et de ses ressources pétrolières sont autant de motifs de désaccord entre les factions qui ont renversé ce régime autoritaire. Ces rivalités régionales et tribales repoussent la date de l'enterrement de Mouammar Kadhafi, dont la tempe porte la marque d'une balle et le corps les stigmates de son arrestation mouvementée. Le haut commissariat de l'Onu aux droits de l'homme et la veuve de l'ancien "guide", réfugiée en Algérie, ont demandé l'ouverture d'une enquête sur les circonstances du décès. SANS DOUTE ABATTU Mouammar Kadhafi, 69 ans, se cachait dans une canalisation sous une route lorsqu'il a été retrouvé par des combattants du CNT. L'aviation de l'Otan avait quelques heures plus tôt frappé un important convoi de véhicules fuyant la ville de Syrte. Le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Mahmoud Djibril, assure que Kadhafi a succombé à une blessure par balle à la tête reçue lors d'une fusillade entre ses gardes et les combattants du CNT, alors qu'il était transporté vers un hôpital. Mais une nouvelle vidéo, le montrant ensanglanté et battu par ses gardes, laisse penser qu'il a été exécuté. On peut entendre un homme qui demande de le "laisser en vie", puis Kadhafi disparaît de l'image et des coups de feu éclatent. "Alors qu'il était en train d'être emmené, ils l'ont battu et ensuite ils l'ont tué", a dit à Reuters une source de haut rang au sein des nouvelles autorités. "Il a peut-être résisté." La dépouille de Mouammar Kadhafi est dans une chambre froide qui conserve habituellement de la viande et d'autres produits frais près du vieux marché de Misrata. Une source haut placée dit à Reuters que les nouveaux dirigeants du pays sont divisés sur le lieu de l'enterrement: "Selon le rite musulman, il doit être enterré rapidement mais ils doivent trouver un accord pour savoir s'il sera enterré à Misrata, Syrte, ou ailleurs." Selon un haut responsable des forces du CNT, des membres de sa tribu, les Kadhafa, discutent de la possibilité de récupérer son corps pour l'enterrer dignement, procédure qui respecterait une tradition déjà observée pour Saddam Hussein. Mais le CNT souhaiterait que Kadhafi et son fils Moutassim, également tué jeudi, soient inhumés en un lieu secret, à l'inverse de l'ancien dictateur irakien, pour empêcher que son tombeau devienne un lieu de pèlerinage. RIVALITES REGIONALES Le gouvernement intérimaire a aussi gambergé sur le lieu de "la déclaration de libération" mais a fini par annoncer qu'elle serait prononcée samedi à Benghazi, deuxième ville du pays, et non à Tripoli, l'actuelle capitale. Le gouvernement prévoit d'annoncer à cette occasion son transfert à Benghazi, dans l'Est, d'où est partie l'insurrection mi-février. Les combattants de Misrata, troisième ville de Libye qui a payé le plus lourd tribut à la répression menée par Mouammar Kadhafi, espèrent aussi obtenir plus d'influence au sein du gouvernement. Les rivalités régionales sont fortes dans un pays formé de toutes pièces par le colon italien dans les années 1930. Kadhafi a parfois tiré profit de ce puzzle tribal pour contrôler le pays, peuplé de six millions d'habitants seulement mais aux grandes ressources énergétiques. La communauté internationale, s'apprêtant à déclarer la fin de la mission de l'Otan qui aura duré beaucoup plus longtemps que prévu, appelle d'une seule voix à l'unité et au lancement du processus de démocratisation. Les Libyens doivent "surmonter les blessures du passé, regarder vers l'avenir sans sentiments de rancune ou de revanche", a dit le chef de la Ligue arabe Nabil El Arabi. "C'est vraiment aux Libyens de construire l'avenir, pas à nous", a renchéri Nicolas Sarkozy. "J'attends qu'ils nous disent très exactement quelles sont leurs demandes." Les grands dirigeants mondiaux n'ont pas regretté la disparition sans procès de Mouammar Kadhafi, pourtant réclamé par la Cour pénale internationale (CPI). Un procès aurait pu plonger dans l'embarras gouvernements étrangers et compagnies pétrolières occidentales, qui se sont rapprochés de Mouammar Kadhafi ces dix dernières années. Reuters