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Le «Printemps arabe» à la dérive
Montée de l'islamisme en Tunisie, au Maroc, en Libye et en Egypte
Publié dans Le Temps d'Algérie le 03 - 12 - 2011

Le 24 novembre, le Parti islamiste marocain de la Justice et du développement (PJD) arrive en tête des élections législatives avec environ 30% des voix et se prépare à accéder au pouvoir.
Hier, les premières estimations du scrutin législatif des 28 et 29 du même mois en Egypte ont confirmé la nette tendance à la victoire du Mouvement des Frères Musulmans «Liberté et Justice» (PJL) qui obtiendrait 40% des suffrages. Ce score était assez prévisible puisque pratiquement aucun gouvernement du côté de la rive nord de la Méditerranée ne semblait s'en inquiéter à la veille de ces élections.
La surprise venue des urnes, c'est la remarquable percée du mouvement salafiste Ennour, arrivé juste derrière le PJL avec entre 20 et 30% des voix. C'est la mauvaise surprise. Une douche froide pour les chancelleries occidentales qui s'apprêtaient, avec ce sentiment d'hypocrisie diplomatique qui leur est propre à féliciter les partis qui prendront en main le destin de «Oum Edounia».
C'est devenue la règle, depuis l'expérience démocratique en Algérie de la fin des années 80, que les courants les plus agissants pour la démocratie se fassent doubler par les fondamentalistes religieux. Arrachée aux griffes de Ben Ali par les enfants de Sidi Bouzid, la Tunisie a basculé aux mains d'Ennahda. La place Tahrir a chassé Moubarak mais l'Egypte a fait mieux que le Maroc de Abdallah Benkirane ou la Tunisie de Rached Ghannouchi,
en se réfugiant de tout son corps dans les bras de l'islamisme, en partie radical. Il ne fait aucun doute que les djihadistes d'Irak et d'Afghanistan qui ont un pied au pouvoir en Libye savent attendre. Les amis de Belhadj qui commande Tripoli feront certainement aussi bien que les «frères» fondamentalistes égyptiens lorsque le peuple libyen pourra voter librement.
Le jeu trouble de l'Europe et des Etats-Unis
Le «printemps arabe», inspiré à dessein depuis Paris et Londres, est en train d'assurer la promotion de l'islamisme dit «modéré». Dans cet environnement en ébullition, l'Algérie donne l'impression d'être immunisée contre la contagion arabe, le prix à payer pour faire partie obligatoirement du nouvel ordre politique régional qui se met en place.
A cette fin, les puissances occidentales ont mis les moyens politiques, diplomatiques et militaires qu'il faut. Ils ont pu déloger les régimes de Moubarak, de Ben Ali, de Kadhafi et tentent d'en faire de même en Syrie et en Iran. Dans tous les cas, ce sont de mauvais calculs. Initialement, les Européens avaient misé sur l'exportation de leur démocratie vers la rive sud de la Méditerranée, après avoir fait le constat d'impopularité des régimes dictatoriaux qu'ils avaient eux-mêmes installés un peu partout au Maghreb et au Machrek.
Pour désamorcer un retour éventuel du patriotisme de gauche nassérien, ils ont dû sacrifier les fidèles parmi les fidèles alliés et préparer le terrain à l'arrivée au pouvoir des libéraux. Les Egyptiens Mohamed El Baradai, ex-patron de l'AIEA ou Amr Moussa, ex-SG de la Ligue arabe, figurent parmi les modèles des nouveaux dirigeants arabes libéraux capables servir les intérêts dans la région. Au résultat final, l'occident aura parfaitement réussi à conduire le «Printemps arabe» droit dans les bras de l'islamisme.
La démocratie à la carte
La démocratie est une excellente idée. Elle permet aux peuples de choisir librement leurs dirigeants et au besoin de les mettre à la porte pour incompétence. Sur le principe, rien à redire donc, sinon que les objectifs recherchés sont loin de correspondre à ces bons sentiments.
Il se trouve, en effet, que le séduisant processus de changement démocratique en cours s'accompagne souvent de recettes politiques occidentales, en fonction des avantages économiques que présente chaque pays programmé pour les réformes politiques.
Curieuse perception de cette démocratie à deux vitesses ! A la différence des dynasties républicaines qui n'apportent plus rien aux pays occidentaux, sinon des ennuis en matière de droits de l'homme, les monarchies du golfe sont acceptées et courtisées. Du moins tant qu'elles continueront d'assurer la sécurité énergétique des pays occidentaux et de ne pas trop faire bouger la Ligue arabe contre Israël. D'orienter le consensus arabe contre la Syrie.
A la lumière des expériences «démocratiques» qui, tous comptes faits, n'auront servi qu'à dérouler le tapis rouge sous les pieds des islamistes en Tunisie, en Libye, en Egypte, au Maroc et bientôt en Jordanie, au Yémen et en Syrie (touchons du bois en Algérie), il s'est avéré que les Etats-Unis et l'Union européenne ignorent jusqu'aux convictions et aspirations profondes des peuples arabes.
L'échec garanti
Paris, Londres, Madrid et Washington regrettent, aujourd'hui, quelque part, la montée de l'islamisme, même s'ils veulent se laisser convaincre que le PJD, Ennahda, le PJL, Anour ou les djihadistes de Guantanamo sont des partis comme les autres. Cette erreur de jugement apporte la preuve formelle que dans les conditions qui sont celles de la manipulation, souvent violente et agressive,
de l'Europe et des Etats-Unis dans le mouvement contestataire arabe, la seule alternative politique possible aux régimes corrompus pro-occidentaux et laxistes avec Israël, c'est, pour le moment, l'islamisme, disons modéré.
Si la cause palestinienne continue de se heurter au blocage américain, sous Bush ou sous Obama, cet islamisme modéré basculera inévitablement vers le fondamentalisme. En gardant un silence complice sur le comportement d'Israël dans les territoires occupés palestiniens, en offrant l'image de l'Islam la plus déformée à l'opinion publique internationale, en voulant récupérer les légitimes aspirations des peuples arabes à une vraie démocratie, non importée, et à des réformes économiques non dictées depuis l'étranger, l'OTAN aura inscrit l'instabilité politique du Monde arabe dans la durée.
Ce forum politico-militaire qui a entrepris de façonner la région a commis une double erreur.
Celle d'avoir couvert les dictatures qui ont régné d'une main de fer, comme en Egypte et en Tunisie, puis de manœuvrer, en ce moment, à l'instauration d'un nouvel ordre politique au Machrek et au Maghreb mais qui ne correspond, en fait, ni à leurs intérêts, ni à ceux des vrais artisans des révoltes arabes.


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