La politique de lutte contre le chômage prônée par les pouvoirs publics est loin de donner des résultats sur le terrain. Des spécialistes sollicités par Le Temps d'Algérie critiquent la démarche entreprise par le gouvernement afin de faire baisser le taux de chômage, une politique basée selon eux sur une approche sociale du problème et non pas économique. La multiplication des dispositifs de création d'activités et d'insertion nécessistent d'importants financements publics et des mécanismes de contrôle ainsi que du suivi. Ce qui rend les résultats aléatoires, estiment des économistes qui attirent l'attention également sur la méthode de calcul du taux de chômage en Algérie, en la considérant lui de refléter la réalité. En effet, les personnes sollicitées à ce propos soutiennet avec des arguments et des explications détaillées sur les limites de la politique de l'emploi. L'Agence nationale de l'emploi (Anem) qui propose aux jeunes des emplois de courte durée, ne règlent pas le problème définitivement. L'employé demeure dans une situation précaire et peut se retrouver à tout moment au chômage. Le recrutement par le biais de cette agence publique ne réglerait pas le problème du chômage, d'autant plus que les jeunes recrutés seraient comptabilisés en tant qu'employés permanents, même après la rupture de leur contrat. La situation de crise du secteur privé ainsi que la lourdeur des procédures liées à la création d'entreprise n'est pas en reste et conditionne fortement l'accès à l'emploi en Algérie. Il ne faut pas oublier le flux massif des jeunes qui quittent les régions rurales pour la capitale et autres grandes villes du pays, créant une importante demande sur le travail, ce qui ne fait qu'augmenter le taux de chômage. Malek Seraï, expert international et consultant en économie, relève, après une étude basée sur des consultations avec des experts en la matière, que le chômage en Algérie est imputé à plusieurs paramètres et facteurs déterminents. De son côté, le Dr Belaïd Abdelaziz, maître-assistant à l'Ecole supérieure de commerce en Algérie, affirme que plus d'«un tiers de la population algérienne serait au chômage. Lorsque le chômage atteint le taux de 8%, il faut parler d'une crise de l'emploi (...) Il faudrait instaurer des mesures économiques qui encourageraient la création de petites et moyennes entreprises et alléger les procédures bureaucratiques». Selon les experts, la lourdeur administrative empêche la création des entreprises, sachant que l'emploi dépend essentiellement du secteur des PME. «A l'étranger, les entreprises sont créées en 24 h ou moins, alors qu'en Algérie, il faut plusieurs mois», a estimé M. Belaid. Selon lui, «il faut asseoir une procédure économique et créer des mécanismes qui incitent à la création des entreprises, car c'est le taux du chômage qui reflète l'état économique du pays». Le docteur Belaïd a souligné également que l'enquête et la prospection réalisées par l'Office national des statistiques sur l'emploi annonce un taux de chômage de 10%, ce qui est loin d'être représentatif et très en deçà de la réalité. Alors que des organismes internationaux, notamment le Bureau international du travail (BIT) qui se base sur des données plus concrètes et parle d'un taux de chômage avoisinant les 20%, soutient-il. «Evidemment, ces deux normes appellent à des techniques de calculs qui sont difficiles et donnent des résultats tout à fait différents», explique pour sa part M. Seraï. En tant que technicien, M. Seraï se refuse à manipuler les chiffres, contrairement à certains qui «font de la politique». D'un point de vue gouvernemental, les ministres, sénateurs et députés comptabilisent les emplois dans «un panier très large», y compris les emplois temporaires, saisonniers et emplois d'aménagement des communes. A ce propos, le consultant dira que «ce genre de méthode de calculs fausse complètement les analyses, étant donné que les travailleurs d'une semaine, d'un mois et d'une année sont compris dans les bases de données des statisticiens et sont considérés comme des travailleurs titularisés». Le Dr Serai reproche aux jeunes d'être trop exigeants sur le marché de l'emploi et d'aspirer à des postes qui leur permettent d'obtenir le maximum de gain sans trop de difficultés et sans fournir d'efforts conséquents, ce qui, selon lui, réduit fortement leurs chances d'accéder à un poste. «Une bonne partie des jeunes refuse d'aller vers les travaux difficiles, tels que l'environnement rural et le bâtiment», fait remarquer le consultant. Déséquilibre régional Il existe, selon les deux experts, un important déséquilibre en matière de développement dans les wilayas et communes du pays. «Les wilayas de Kabylie, compte tenu du caractère montagneux et rural accusent un chômage de 23%, étant donné que les jeunes et les opérateurs économiques fuient la région», estime-t-on. D'un autre côté, il existe des performances importantes et non négligeables dans d'autres wilayas qui ont réussi à absorber considérablement le taux de chômage et c'est d'ailleurs le cas pour Sétif et Annaba, où il a été créé des entreprises d'envergure et qui ont ouvert un nombre important de postes de travail. L'emploi est mal réparti par rapport aux besoins du pays. M. Seraï propose des solutions pour contrer ce problème et voit dans l'aménagement du territoire et dans le développement rural une bonne démarche. Le Sud offre également un important potentiel susceptible d'être exploité et de créer des emplois et des possibilités intéressantes aux jeunes. «Des efforts considérables ont été entrepris par les pouvoirs publics au niveau du Sud», précise M. Seraï. Néanmoins, l'application et la faisabilité sur le terrain ne sont toujours pas à point et restent à parfaire. «Nous avons besoin d'un équilibre et d'une coloration nationale dans toutes les régions, et lorsqu'on aura atteint cet objectif, nous pourrons parler de bataille gagnée sur le chômage», explique l'expert. Les limites des dispositifs Ansej et Angem Quant aux dispositifs de l'ANSEJ et de l'ANGEM, nécessitant l'intervention et le soutien de l'Etat, ils sont, selon les experts, dépassés et ne peuvent pas répondre aux attentes des chômeurs. Un autre élément a été relevé quant à la question du chômage en Algérie qui est celui du marché de l'informel. «Nous avons un marché parallèle qui fait des ravages», a soutenu l'économiste. Le secteur privé national est donc découragé de plus en plus par la concurrence déloyale du marché informel, échappant à tout contrôle et aux charges fiscales. «Et l'Etat se contente de mettre le paquet dans les investissements lourds, alors que le véritable créateur de l'empoi est le secteur privé national ou étranger», rappelle-t-il. Aujourd'hui, le secteur privé est confronté à beaucoup de problèmes liés notamment aux poursuites judiciaires lorsque les dettes ne sont pas remboursées, à la fiscalité qui est «lourde» et aux pertes du taux de changes. C'est à ce niveau là, que les pouvoirs publics sont invités à intervenir pour donner les possibilités et des marges de maneouvres aux opérateurs écobnomiques. Pour ce qui est de la croissance économique de l'Algérie qui reste positive et de l'ordre de 4.6%, elle ne permet pas pour autant de réduire le chômage. «Le jour où l'on arrivera à un taux de croissance à deux chiffres, on pourra réduire le taux de chômage», indique-t-il. Le monde rural offre aussi de bonnes garanties pour réduire le chômage et investir dans ce secteur pourrait être profitable à long terme, ajoute l'expert Seraï. Le développement durable ainsi que l'exploitation des zones rurales ne sont pas suffisamment investis en Algérie. «Le monde rural se vide de plus en plus. Les villageois quittent les zones rurales pour les villes. L'Etat devrait recentrer ses efforts dans le monde rural pour que les jeunes ne parasitent pas dans les villes», recommande-t-il en signalant que les diplômés des villages n'ont pas d'opportunités de travail au sein de leurs milieux, sachant que la politique de formation prônée par les pouvoirs publics a permis à des milliers voir des millions de jeunes d'accéder à des formations supérieures. Ces diplômés n'ont pas de choix que de chercgher du travail dans des grandes zones urbaines. Une économie domestique à asseoir Il est aussi judicieux d'asseoir, selon les experts cités, une économie domestique en donnant du travail aux femmes et aux jeunes filles au foyer pour créer de l'emploi dans les domaines de l'artisanat et pour que ces dernières se sentent utiles. «Ces femmes ont une capacité de rendement et de création artistique exceptionnelle», annonce M. Serai. En Algérie, les femmes ont donné leurs preuves dans plusieurs domaines : médecine, chimie, pharmacie, biologie, électronique et il faut en tenir compte, précise-t-il. «Le jour où l'on encadrera cet élément féminin partiellement invisible, on réglera beaucoup de problèmes. Cela a réussi en Allemagne et dans des pays de l'Asie. Il n'y a aucun mal à vouloir reproduire les bonnes expériences», ajoute M. Seraï.