C'est un tableau cataclysmique et, à l'échelle des temps géologiques, c'était hier. Il y a 12 900 ans, alors que la Terre se remettait de sa dernière glaciation, et qu'elle se réchauffait lentement sous l'effet de la modification de ses paramètres orbitaux, un accident climatique la fit revenir, et pour un millénaire, à ses glaciales conditions précédentes : dans l'hémisphère Nord, les températures moyennes chutèrent brusquement de 5° C à 7° C. En Amérique du Nord, les grands mammifères disparurent et les populations humaines se réduisirent... Depuis près de deux ans, plusieurs chercheurs américains soutiennent la théorie controversée selon laquelle cette crise écologique serait due à un impact météoritique. L'obscurcissement du ciel consécutif aurait provoqué le refroidissement de cette période baptisée Dryas récent. Des travaux publiés vendredi 2 janvier dans la revue Science viennent à l'appui de cette idée. Dans une fine couche géologique ancienne de 12 900 ans environ et identifiée sur plusieurs sites d'Amérique et d'Europe du Nord, les auteurs de ces travaux ont détecté des nanodiamants et y voient la signature d'un impact météoritique.Une précédente étude, publiée en octobre 2007 dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), s'était attachée à doser l'iridium — autre marqueur extraterrestre — de cette couche géologique. Mais d'autres équipes n'étaient pas parvenues à détecter la moindre trace d'iridium dans certains échantillons.
«Comme une contradiction» Cette nouvelle contribution est également accueillie avec réserves. Philippe Claeys (Vrije Universiteit, Bruxelles), spécialiste des impacts météoritiques, n'est guère convaincu. «Même en admettant que ce sont bien des nanodiamants qui ont été détectés, il faudrait être sûr de leur provenance, explique-t-il. Leur structure cubique pourrait suggérer qu'ils se sont formés grâce aux très hautes pressions générées lors d'un impact. Or aucun cratère n'a jusqu'à présent été identifié et les auteurs eux-mêmes suggèrent que la météorite a pu exploser dans l'atmosphère terrestre... Il y a donc là comme une contradiction.» De plus, les mécanismes de formation de ces nanodiamants sont encore très peu connus et leur association immédiate à un objet extraterrestre est hasardeuse. Il faudra donc des preuves supplémentaires pour convaincre les sceptiques. Pour autant, l'hypothèse météoritique est séduisante : elle expliquerait, outre le refroidissement abrupt du Dryas récent, la disparition à ces mêmes époques de la mégafaune nord-américaine (mammouths, chevaux, tigres à dents de sabre, paresseux géants...). Et aussi l'effondrement de la culture paléo-indienne dite de Clovis — du nom de la ville près de laquelle les premiers vestiges de cette culture de chasseurs-cueilleurs ont été identifiés. Mais là encore, les sceptiques ont quelques arguments. Selon des travaux récemment publiés dans Quaternary Science Reviews et fondés sur des analyses du carbone 14 retrouvés sur des sites d'Alaska et du Yukon, le cheval a disparu d'Amérique du Nord il y a 14 200 ans et le mammouth il y a 13 300 ans... Longtemps donc avant la météorite supposée. Et c'est la raréfaction du gibier qui aurait alors précipité la chute de la culture de Clovis... Les scientifiques ont-ils cependant des théories alternatives pour expliquer le refroidissement du Dryas récent ? Selon le climatologue Gilles Ramstein (Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement), l'opinion dominante est qu'un immense lac — formé par le retrait de la calotte glaciaire qui recouvrait alors l'Amérique du Nord — s'est vidangé dans l'Atlantique. Cet afflux brutal d'eau douce y aurait interrompu la circulation océanique. Or celle-ci redistribue dans l'hémisphère Nord la chaleur accumulée aux tropiques. D'où un fort refroidissement. Une réconciliation des deux théories est toujours possible, pour peu qu'un impact météoritique se soit produit sur le reste d'une calotte de glace, précipitant dans l'océan de grandes quantités d'eau douce...