Alexandra, une township de Johannesburg qui s'est illustrée par son esprit de résistance au pouvoir blanc, fête son centenaire cette année, un événement que ce bout de ville surpeuplé qui abrita le jeune Nelson Mandela veut mettre à profit pour faire oublier ses problèmes sociaux. Faut-il se réjouir alors qu'"Alex", où 400.000 personnes s'entassent sur 7,6 km2, est essentiellement composée de baraquements dont la plupart n'ont pas l'eau courante, tandis que le taux de chômage y est estimé à 35%? "Le fait qu'(Alexandra) ait survécu est une bonne raison pour faire la fête", sourit Philip Bonner, historien à l'université du Witwatersrand. Car cette township située à 12 km au nord du centre de Johannesburg est un accident de l'histoire. Créée en 1912 par un fermier qui a vendu ses terrains à des Noirs faute de trouver des acheteurs blancs, "Alex" était l'un des rares endroits où des populations de couleur pouvaient être propriétaires de leurs maisons. D'où une tradition d'autonomie et de résistance qui fait encore la fierté de ses habitants, face à un pouvoir qui n'a eu de cesse de vouloir se débarrasser de ce "point noir" planté à proximité immédiate des banlieues blanches les plus chic de la métropole sud-africaine. Les autorités ont bien déplacé des dizaines de milliers d'habitants vers d'autres townships, notamment Soweto (à 40 km de là), mais elles n'ont jamais réussi à en venir à bout. "Je voulais rester à Alexandra parce qu'ils ne travaillaient pas la terre là-bas. Ici, nous le faisions", témoigne Selina Mpisi, fringante centenaire rebaptisée "Lady Alex" et devenue l'égérie de l'anniversaire de sa township, où elle est arrivée il y a soixante-quatorze ans. Le caractère rural des débuts d'Alexandra a complètement disparu: les maisons d'origine sont maintenant submergées dans un océan de baraquements surpeuplés, où se sont agglomérés des masses de migrants. Non sans drames: c'est à Alexandra qu'ont débuté les émeutes xénophobes qui ont agité les townships sud-africaines en 2008. Quelques décennies plus tôt, les habitants d'"Alex" s'étaient fait un nom plus glorieux dans l'histoire du pays en boycottant à plusieurs reprises les bus dont les autorités voulaient augmenter les tarifs, faisant plier les autorités blanches. Lors des boycotts de 1943 et 1944, "Nelson Mandela habitait à Alexandra. Il a dit que ça l'avait beaucoup impressionné. Ca lui a ouvert les yeux, politiquement. A partir de ce moment (...), il a cessé d'être un observateur, et est devenu un participant", remarque le professeur Bonner. Alexandra a bien changé depuis que celui qui allait devenir le héros de la lutte contre l'apartheid y a séjourné lorsqu'il est arrivé à Johannesburg. L'Etat sud-africain a lancé en 2001 un vaste plan de rénovation, construisant des milliers de logements, goudronnant et éclairant les rues, aménageant un parc à la place d'un bidonville qui était régulièrement emporté par les crues d'une rivière... Et quand bien même la plupart des Blancs n'osent pas s'y aventurer, la township n'est plus la zone de non droit qu'elle était devenue. "Quand je reviens de l'église, je n'ai plus peur. Il y a quelques années, vous ne pouviez pas marcher tout seul", se réjouit Pauline Dlamini, née à "Alex" il y a 70 ans. Reste que si la situation s'est améliorée, Alexandra est toujours un îlot de pauvreté, où les chèvres paissent parmi les ordures qui s'accumulent devant le nouveau centre commercial, et où la municipalité a embauché un escadron de chouettes pour chasser les rats. Bien loin de Soweto, l'autre grande township de Johannesburg, celle où vont les touristes. Quelques critiques fusent donc, devant le coût des festivités --qui doivent durer toute l'année--, alors que les besoins sont immenses. Le centenaire? "Nous le voyons comme une plate-forme pour changer le visage d'Alexandra, socialement et économiquement", indique Mpho Motsumi, le président de la chambre de commerce locale. Il espère notamment que les festivités permettront d'attirer l'attention sur "Alex", et de faire venir des investisseurs.