On a beau lui dire que les Jeux olympiques et les Jeux méditerranéens, ce n'est pas vraiment la même chose, Omar n'en démord pas. Quand il est «acculé» avec les explications les plus claires et les arguments les plus irréfutables, il fait semblant d'être d'accord. Mais à la première occasion, il «rechute». Personne ne le privera de «son souvenir». Omar avait vingt ans en 1975. Alger accueillait les Jeux méditerranéens parce que l'Algérie est baignée par la Méditerranée, mais Omar ne se rappelle pas de l'appellation, puisque depuis, il a décidé que c'était les Jeux olympiques. Il y tient, non pas parce qu'il pense que c'est plus prestigieux, que ça rassemble plus de sportifs et de disciplines, que le niveau est plus élevé et que ça a un meilleur ancrage historique dans l'ensemble de la planète. Il y tient parce que son souvenir est tellement beau, tellement inoubliable, qu'il ne comprend pas qu'on vienne en atténuer la grandeur en le collant à des jeux dont plus personne ne parle aujourd'hui. Omar se souvient. Le stade du 5-Juillet, qu'on appelait encore «stade Chéraga» par un curieux glissement géographique, était encore tout neuf avec son «gazon artificiel» puisque la formule «pelouse synthétique» n'existait pas encore. Il se souvient, c'était la deuxième fois qu'il entrait dans cet antre de béton et de lumières. Omar se rappelle que la première fois, son éblouissement en pénétrant dans le stade qu'on inaugurait pour la circonstance avait rapidement laissé place au désarroi : son équipe favorite l'USMA avait perdu contre Hamra Annaba sa énième finale de Coupe d'Algérie. Mais en y revenant pour les «Jeux», Omar n'y pensait plus. C'était alors d'Algérie qu'il s'agissait et il ne badine jamais avec le patriotisme, pour penser à son club de cœur. Il se souvient de Mohamed Mada, un coureur venu de nulle part gagner la médaille d'or sur 5000 mètres. Omar ne fait toujours pas la différence entre les spécialités de l'athlétisme mais il se souvient que Mada avait gagné la course contre le reste du monde… de la Méditerranée. Quand on lui a dit qu'entre temps, ce sportif a quitté ce monde, mort de maladie et d'oubli, Omar a versé une larme en repassant les images de sa fantastique foulée finale. Et Boualem Rahoui qui a gagné la «course aux barrières». Ne vous dérangez pas pour lui apprendre que la course aux barrières en question, on l'appelle le 3000 mètres steeple, il n'y comprendra rien et il s'en fout royalement. Il se rappelle de sa moustache et des cris du commentateur de la télévision, déjà «unique» à l'époque même si on ne l'appelait pas ainsi, puisque l'ENTV n'existait pas encore. Il avait gagné la médaille d'or lui aussi contre le reste du monde méditerranéen. Il est encore en vie, mais personne ne sait ce qu'il devient. Omar aurait voulu le savoir, même si ce n'est pas dans sa nature de poser des questions. Enfin, le meilleur pour la fin. Omar ne sait pas qu'on peut désigner des choses par la première lettre, mais quelqu'un avait dit dans l'euphorie des discussions sur la «Victoire» et il avait retenu ça. Et il le répète à chaque fois qu'il en a l'occasion. Il arrive même qu'il se moque de ceux qui ne savent le sens de FFF. Alors il leur disait, le sourire narquois, que c'était, Football, France, Fierté. On lui a souvent rétorqué que c'était tiré par les cheveux, mais il «sait» que c'est génial. Aussi génial que le petit Skikdi du nom d'Aïssa Draoui qui avait «explosé la France» aux JO… d'Alger. Aussi génial que «Omar Bétrouni, l'homme de la dernière minute», aussi génial que Kaoua, pas celui du Mouloudia mais celui de Kouba, aime préciser Omar. Aussi génial enfin que Rabah Menguelti. Omar ne sait pas vraiment si c'est vrai, mais il dit quand même, ce joueur de la JSK, défenseur de métier, n'a jamais marqué de but en dehors de celui qu'il a mis à la France dans les prolongations pour une «deuxième indépendance». La médaille d'or en football et contre la France en finale ! Avec ça, allez dire à Omar que ce n'était pas les Jeux olympiques. Slimane Laouari