Dans la petite localité de Tkout, au cœur des Aurès, l'évocation du Moudjahid Mohamed Beziane renvoie automatiquement à la spectaculaire évasion de Mostefa Ben Boulaïd de la prison de Coudiat, à Constantine. Mohamed Beziane y était. Rencontré par l'APS dans son village de montagne, il garde, en dépit de ses 80 ans, bon pied bon œil. S'il cultive une véritable passion à évoquer des souvenirs de la glorieuse Révolution, ses yeux se mettent à pétiller lorsque le nom de Ben Boulaïd est cité devant lui. Il accepte volontiers de revenir sur cette évasion qui avait fait trembler l'ordre colonial. Une évasion dont il était acteur, un certain 10 novembre 1955. "A l'époque, j'avais 22 ans. J'ai été écroué à la prison de Coudiat en décembre 1954 après avoir été condamné à la peine capitale pour atteinte à la sécurité de l'Etat français", raconte-t-il. La prison de Coudiat, forteresse inviolable ? Mohamed Beziane et Tahar Zbiri restent aujourd'hui les deux seuls témoins encore en vie de la légendaire évasion de Ben Boulaïd. "La prison de Coudiat n'était pas une forteresse en papier et ses gardiens n'étaient pas non plus des enfants de chœur. Un mois après notre évasion, je ne croyais toujours pas qu'on était libres, nous qui étions condamnés à la peine capitale", souligne le vieil homme. Parmi les flots de ses souvenirs, Beziane se rappelle que dans la cellule qu'il partageait avec plusieurs combattants dont Ben Boulaïd, ce dernier veillait constamment à remonter le moral de ses compagnons. "Lorsque nous nous sommes réunis pour décider de l'évasion, Si Mostefa nous disait +l'Histoire se souviendra de nous, que l'on réussisse notre coup, ou que l'on échoue et notre condamnation à mort nous rend égaux devant Dieu, la Révolution et la patrie+", souligne ce témoin. Au cours de cette réunion présidée derrière les barreaux par Ben Boulaïd, Bachir Hadjadj, originaire d'El Khroub, suggéra l'idée de creuser un tunnel. 57 ans après les faits, Beziane conserve dans un coin de sa mémoire les moindres détails de cette aventure : "Hadjadj avait dit à Ben Boulaïd qu'en creusant le tunnel, nous atteindrions un petit dépôt qui ne s'ouvre qu'occasionnellement. Le dépôt a une porte en bois par laquelle l'on peut y accéder à une cour qui donne sur un mur lequel cache un second mur donnant accès à un passage". La ruse pour vaincre les "invincibles" Durant 28 jours, entre 11 et 14 h, Ben Boulaïd et ses compagnons se relaient pour creuser ce fameux tunnel, avec comme seuls outils un loquet en métal arraché de la fenêtre de la cellule et du savon pour dissimuler les traces du fossé. Ils s'arrêtent chaque quart d'heure durant un instant, le temps que passent les matons. Au bout de 12 jours de périls et d'efforts acharnés, raconte Mohamed Beziane, le résultat devenait palpable. Le témoin (et acteur) détaille les astuces qu'il a fallu imaginer pour ne pas éveiller les soupçons, en veillant, notamment, à dissimuler toutes traces de terre et de gravillons. "Il n'y avait plus qu'à utiliser le tissu des matelas pour confectionner des cordes qui nous permirent d'escalader les murs nous séparant de la liberté", se souvient le vieil homme. Nous ne sommes pas des criminels En cette soirée du 10 novembre 1955, à 17 h 30, Ben Boulaïd, en chef de file, conduisit ses compagnons vers la liberté. 19 prisonniers ont fait partie de l'aventure, parmi lesquels Mohamed Laïfa, Mohamed Beziane, Tahar Zbiri, Brahim Taïbi, Ali Hafsaoui, Slimane Zaïd, Hocine Arif, Hammadi Krouma, Lakhdar Mecheri et Lakhdar Bouchemal. Une heure après l'évasion, les gardiens qui effectuaient leur tournée, constatèrent que la cellule était vide et ont donné l'alerte. Beziane qui confie que Ben Boulaïd a déconseillé à ses compagnons de se réfugier dans la forêt de Djebel Ouahch, témoigne que Si Mostefa avait laissé une lettre à l'administration de la prison. Une lettre, ajoute-t-il, où il avait écrit en substance : "nous pouvions tuer les gardiens de la prison, mais nous ne sommes pas des criminels (à) nous sommes contre le gouvernement français". Essuyant furtivement une larme, Mohamed Beziane se rappelle : "au retentissement de sirène d'alarme de la prison, nous étions déjà loin. Nous avons beaucoup couru, sans nous retourner, pour atteindre la région de Grarem, au nord-ouest de Constantine".