Le Parlement français a adopté définitivement jeudi la proposition de loi socialiste qui fait du 19 mars, date anniversaire du cessez-le-feu en 1962, une "journée nationale du souvenir" en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie. Ce vote intervient alors que la question de la responsabilité de la France et de ses crimes pendant la guerre d'Algérie resurgit à quelques semaines de la visite à Alger de M. Hollande. Le texte a été adopté par 181 voix contre 155, la gauche sénatoriale s'étant prononcée pour, la droite contre, à l'issue d'un débat passionné. Déjà votée en janvier 2002, dans les mêmes termes, par l'Assemblée nationale, il est définitivement adopté après le vote du Sénat. Les sénateurs de l'opposition de droite ont aussitôt indiqué qu'ils saisiront dès vendredi le Conseil constitutionnel sur ce texte, en dénonçant "un brouillage démocratique". En deux courts articles, la loi institue chaque 19 mars une journée du souvenir "à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc". Son inscription à l'ordre du jour du Sénat dix ans après son passage devant l'Assemblée a suscité un débat souvent marqué par l'émotion, sur fond de polémiques sur le passé colonial de la France. Plusieurs élus de gauche ont fait part de leurs "inquiétudes" en l'absence de consensus sur la date du 19 mars, qui pour de nombreux anciens combattants est synonyme de défaite. La droite a dénoncé pour sa part un texte de "division" et accusé la gauche d'instrumentaliser l'Histoire. "Le président de la République se rendra le mois prochain en Algérie, il semble que ce soit pour faire un usage diplomatique de ce texte qu'il en brusque l'examen", a affirmé ainsi la sénatrice Joelle Garriaud-Maylam. Le 19 mars, date du cessez-le-feu au lendemain des accords d'Evian, est un sujet de tensions droite-gauche, mais aussi entre associations d'anciens combattants et de rapatriés d'Algérie. Une quarantaine d'autres associations, qui revendiquent plus d'un million de membres, défendaient celle du 5 décembre, officiellement retenue depuis 2003 pour rendre hommage aux victimes du conflit, mais qui ne correspond à aucun événement de la guerre d'Algérie. Ce vote intervient en plein débat sur la question de la repentance de la France à l'égard de l'Algérie, son ancienne colonie (1830-1962). Le ministre algérien des moudjahidine (anciens combattants) Mohamed Cherif Abbas avait indiqué fin octobre que les Algériens veulent "une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français". Un ex-ministre français de la Défense Gérard Longuet avait répondu par un bras d'honneur à la demande d'Alger, suscitant une levée de boucliers des responsables algériens. Dans un entretien paru jeudi, le ministre algérien de l'Intérieur s'est fait apaisant jugeant que demander à Paris excuses ou repentir pour son action coloniale "criminelle" en Algérie était "dépassé". L'Algérie est l'un des partenaires privilégiés de la France en Méditerranée, mais les relations entre Paris et son ancienne colonie traversent régulièrement des zones de tension. La "guerre" qui a conduit à l'indépendance de l'Algérie en 1962 n'a été qualifiée comme telle qu'en 1999 par les autorités françaises qui parlaient jusque là de simples "événements d'Algérie". Après l'élection de M. Hollande, le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait estimé que "seule une lecture objective de l'Histoire" permettra à la France et à l'Algérie "de transcender les séquelles du passé douloureux". Pour sa part, le chef de l'Etat français, qui doit prochainement se rendre en Algérie, avait déclaré avant son élection qu'"entre une repentance jamais formulée et un oubli forcément coupable, il y a place pour un regard lucide, responsable sur notre passé colonial et un élan confiant vers l'avenir".