La Catalogne, poussée par une fronde indépendantiste, vote dimanche pour renouveler son Parlement, dans un défi au gouvernement espagnol qui pourrait mener cette puissante région du nord-est du pays vers un référendum sur son avenir. Dans les rues de Barcelone flottaient la "senyera", le drapeau catalan, rayé rouge et jaune, et l'"estelada", le drapeau indépendantiste frappé d'une étoile blanche sur fond bleu. Nourri par la crise économique qui impose à sa population de lourds sacrifices sociaux, le mécontentement a éclos ces derniers mois dans cette région traditionnellement riche, au fort caractère culturel et linguistique, réveillant de vieilles frustrations vis-à-vis de l'Etat espagnol. Jusqu'à cette manifestation monstre, aux cris de "Indépendance", le 11 septembre à Barcelone: le tournant qui a convaincu le chef de file nationaliste Artur Mas de convoquer ces élections anticipées, promettant aux 7,5 millions de Catalans d'organiser dans les quatre ans un référendum d'autodétermination. "Nous sommes à un virage. Jusqu'à maintenant, il y avait un sentiment nationaliste minoritaire, qui a grandi avec la crise", affirme Carme Llistosella, une secrétaire au chômage de 60 ans, électrice de CiU (Convergencia i Unio), la coalition d'Artur Mas. Face au refus de Madrid d'accorder à la Catalogne l'autonomie budgétaire accrue qu'elle réclame, le président de région, âgé de 56 ans, a fait le pari du conflit ouvert. Son espoir: obtenir une majorité absolue et avancer, dit-il, vers un "Etat souverain". Un jeu risqué puisque les derniers sondages ne donnent à CiU qu'une majorité relative des 135 députés régionaux. Les petits partis indépendantistes de gauche en revanche, beaucoup plus radicaux, pourraient progresser. Une partie des électeurs, dimanche, voyait d'ailleurs ce scrutin comme un écran de fumée. "Ces élections me dégoûtent, parce que les pays doivent s'unir et non pas se diviser", affirme un retraité de 65 ans, Josep, électeur traditionnel de CiU qui, cette fois, hésitera jusqu'au dernier moment. "Je pense que la campagne a été trop centrée sur la polarisation Catalogne-Espagne et qu'on aurait dû plus parler d'autres thèmes, comme celui de la crise", ajoute Andreu Camprubi, un sociologue de 27 ans. "Avec la question de l'indépendance, on a réussi à faire que beaucoup de gens qui sont touchés par les coupes budgétaires n'y pensent plus", dit cet électeur du petit parti de la gauche indépendantiste CUP. Le gouvernement conservateur espagnol, déjà accaparé par sa lutte contre la crise économique, se retrouve confronté à un autre défi majeur: si la perspective d'une éventuelle indépendance reste éloignée, il en va de la pérennité du modèle de l'autonomie régionale, l'un des fondements de la Constitution de 1978. C'est à l'époque justement de la transition démocratique que les Catalans avaient retrouvé le droit de s'exprimer librement dans leur langue, bannie de l'espace public durant la dictature franquiste (1939-1975). Si Artur Mas, un nationaliste de droite, évite soigneusement le mot "indépendance", c'est bien un "Etat souverain" qu'il défend, "le septième de l'Union européenne", dit-il, en termes de richesse par habitant. De quoi faire trembler le monde des affaires face au spectre d'un Etat qui pourrait se retrouver de facto hors de l'UE et de la zone euro, alors que la région pèse pour un cinquième du PIB de l'Espagne. Depuis deux ans, la frustration montait en Catalogne après une décision de la justice espagnole de réduire son statut d'autonomie élargie, datant de 2006, gommant l'article qui la définissait comme une "nation". Sur ce terreau identitaire très sensible, la crise a fait le reste. La Catalogne, aujourd'hui la région la plus endettée d'Espagne, accuse l'Etat central de l'entraîner dans un gouffre financier et réclame un "pacte fiscal", équivalent à celui existant au Pays Basque et en Navarre, qui lui permettrait de lever elle-même l'impôt. Les intentions d'Artur Mas restent cependant ambiguës, alors que selon un sondage du quotidien El Pais, 46% des Catalans seulement répondraient oui à une question sur l'indépendance. Pour Joaquin Molins, professeur de Sciences politiques à l'Université de Barcelone, le président de région n'ira pas jusqu'au bout: "Ce qui paraît logique, c'est que des négociations vont avoir lieu sur le pacte fiscal, et que tout cela est une stratégie pour se positionner chacun comme le plus fort".