Le débat sémantique et politique fait rage en Espagne depuis que la Catalogne s'est qualifiée de “nation” dans un projet de statut d'autonomie élargie que doit examiner le Parlement. La Catalogne ne veut pas faire “sécession” avec l'Espagne, mais cette dernière pourrait très bien être comme la Grande-Bretagne, une “nation robuste, solide, formée de quatre nations”, estimait dimanche le chef du gouvernement de cette prospère région du nord-est, le socialiste Pasquall Maragall. “Il n'y a pas de place pour deux nations” en Espagne, ont clamé de leur côté pendant le week-end 10 000 manifestants relayant l'intense campagne contre le nouveau statut menée par le Parti Populaire (PP) conservateur d'opposition. Ce projet accorde à la Catalogne de nouvelles et larges prérogatives fiscales et judiciaires, très contestées. Mais c'est l'utilisation du mot “nation” qui cristallise les critiques et alimente la controverse. Les premiers sondages publiés semblent indiquer une nette opposition de l'opinion publique au projet de statut. La Catalogne en tant que nation “peut exister sans cesser de faire partie de l'Espagne”, a ajouté dans une interview au quotidien conservateur ABC M. Maragall, selon qui “il y a en Espagne au moins trois nations, et peut-être une autre”. Il n'a pas précisé lesquelles. Le Pays Basque — qui revendique une Espagne “plurinationale” — et la Catalogne sont les deux régions autonomes en pointe dans la revendication d'une identité propre. Le Royaume-Uni — et non la Grande-Bretagne comme l'a dit M. Maragall — a quatre composantes : l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord. L'exemple britannique apparaît d'autant plus approprié pour les Catalans que leur région s'efforce, depuis des années, de devenir membre de grandes fédérations sportives internationales, comme le Pays de Galles ou l'Ecosse. Au-delà de ces comparaisons, on se doit de bien définir le mot “nation”. Selon M. Maragall, il s'agit d'un “système partagé de sentiments”, comme ceux qui lient les 7 millions de Catalans, sur une population totale de 44 millions d'habitants en Espagne. Dans une définition de 1882, l'écrivain français Ernest Renan disait un peu la même chose : “Une nation est une âme”, marquée par le “désir de vivre ensemble” et le “sentiment des sacrifices” partagés, passés et à venir. Oui mais, répondent les adversaires du projet catalan, la Constitution espagnole de 1978 définit dans son préambule la “nation espagnole” comme la “patrie commune et indivisible de tous les Espagnols”. Et puis, si la Catalogne devient une “nation”, qui l'empêchera de réclamer le statut “d'Etat”, terme encore plus dangereux. “Notre projet n'est pas indépendantiste”, nous voulons simplement “le maximum d'autogouvernement à l'intérieur de l'Etat espagnol”, a rétorqué à ce sujet, dimanche, Artur Mas, le leader du parti nationaliste catalan Convergence et Union (CIU). Le chef du gouvernement socialiste José Luis Rodriguez Zapatero s'est bien gardé d'utiliser le terme de “nation” lors des récents débats au Parlement, se contentant de parler de “l'identité nationale” catalane.