Elles viennent de passer une cinquième nuit à la belle étoile. Les vingt familles expulsées jeudi dernier de leurs maisons qu'elles occupaient depuis 1958 n'ont toujours pas regagné leur demeure. Près de 90 personnes, dont des femmes, des enfants en bas âge et des nouveau-nés, traversent les moments les plus durs de leur vie. Leur expulsion intervient en pleine période hivernale. Elles ont été expulsées suite à la réclamation d'un individu qui cherche à récupérer la parcelle sur laquelle ont été construites ces maisons avant l'indépendance du pays. Une parcelle de terrain appartenant aux EAC No 2 Kentar Rabah, au lieudit Sahel, appelé communément Tchina, donc un terrain appartenant à l'Etat. Les chefs des familles concernées se battent depuis près de trente ans devant les tribunaux compétents. Selon Omar, un représentant des familles, «la décision de notre expulsion remonte à 1993, et depuis nous avons fait face afin que la décision ne soit pas exécutée, car nous habitons sur un terrain appartenant à l'Etat et c'est lui qui doit nous reloger». «Nous sommes là depuis 1958, comment se fait-il que cinquante ans après, l'Etat exécute une telle décision, en plein hiver, sans penser à nos enfants dont la plupart sont en bas âge ? Certains refusent d'aller à l'école car ils sont choqués par la manière dont nous avons été chassés de nos maisons», a-t-il enchaîné avant d'ajouter : «Zohra, une petite fillette de trois ans, garde toujours les séquelles psychiques de l'opération de jeudi dernier.» Le père de Zohra s'est rendu chez un médecin afin d'établir un certificat médical. Omar, 47 ans, la fatigue perceptible sur son visage, nous a indiqué «nous sommes huit, dont six enfants, l'aîné d'entre eux est âgé de 16 ans, à passer la nuit et la journée ici, devant notre maison qui nous a été interdite par l'huissier de justice, comme d'ailleurs toutes les autres familles». Un petit espace faisant face à la route qui mène vers la RN 24, a été cerné, par notre interlocuteur, de draps et autres linges pour y passer la nuit avec les autres membres de sa famille. «Le plus dramatique, ajoute-t-il, c'est que personne ne se soucie de nous, particulièrement les responsables alors que l'endroit n'est qu'à 500 mètres du siège de la wilaya». «A part l'élu FLN Ibaouni Hamoud, que nous remercions pour son soutien moral, aucun autre responsable n'a fait le déplacement, car ils sont tous occupés par les tractations politiques qui se font au détriment des souffrances des citoyens.» Les chefs de famille ont profité de notre présence sur les lieux pour dénoncer l'immobilisme des responsables locaux ainsi que celui des organisations censées porter aide et assistance aux citoyens en détresse, notamment le Croissant Rouge ou les autres organismes de défense des droits de l'homme. Où sont ces associations qui parlent en notre nom ? Elles brillent par leur absence. Cela se passe alors que le monde vient de commémorer le 63e anniversaire de la déclaration mondiale des droits de l'homme. Les affaires de ces familles sont dehors couvertes de draps. Elles y ont même aménagé un espace pour cuisiner. Le hasard a fait que trois de ces familles ont, chacune d'elle, un nouveau-né. Ils vivent dans de conditions lamentables en ces jours de grand froid.
La parcelle de terrain qu'ils occupent appartient à l'Etat Boudjloul Mohamed, 71 ans, chef d'une famille expulsée, nous dira, preuve à l'appui, que la parcelle de terrain objet de réclamation est une propriété de l'Etat. Il exhibe plusieurs documents signés par les responsables de la wilaya dont l'ex-wali Bedrissi, le P/APC d'alors, les directeurs des domaines et des services agricoles de la wilaya. Parmi ces documents on peut citer la décision N505/2001 du wali formulant le partage des parcelles de terrain occupées et leur intégration dans le domaine privé de l'Etat afin de parvenir à la régularisation de la situation des familles en question. Les membres de l'assemblée communale, réunis le 16/01/2002, selon un document en notre possession, se sont mis d'accord pour régulariser la situation de ces familles et ce, en application de la décision du wali susmentionnée. Dans une correspondance datée du mois d'août dernier, les services des domaines précisent que la parcelle de terrain, dont la superficie ne dépasse par les 7 ares, où sont bâties les maisons des vingt familles, appartient à l'Etat. Notre interlocuteur précise que tous les documents qu'il a en sa possession démontrent que la personne cherchant à récupérer ce terrain ne possède pas de biens dans cette exploitation agricole. En 2006, dans une correspondance, les services des domaines ont précisé qu'ils ne peuvent pas intervenir d'autant que l'affaire est en justice, nous dira encore Boudjloul, qui a pris part à la rencontre avec le wali de Boumerdès, l'action de protestation entamée samedi dernier sur la RN 24. Le premier responsable de la wilaya, selon Boudjloul, a tenu à respecter ses engagements quant à trouver une solution favorable à ce problème qui risque de durer longtemps. D'ailleurs, une enquête a été ouverte par les services concernés pour déterminer le vrai propriétaire de cette parcelle de terrain. Boudjloul nous dira qu'ils doivent attendre une quinzaine de jours à la belle étoile pour qu'une solution soit trouvée. Les familles doivent prendre leur mal en patience. Ironie de l'histoire, une convocation du tribunal leur a été envoyée pour dimanche dernier, mais l'affaire, selon l'un des chefs de famille, a été reportée à une date ultérieure. «Les responsables sont occupés par l'installation du P/APW et des P/APC, selon Omar qui ajoute qu'ils n'ont pas de temps pour s'occuper de nous».