Le monde arabe s´est mis peut-être un peu tard aux standards des plus vieilles démocraties. Les Egyptiens ont voté massivement cette fois pour se prononcer sur un projet de réforme de la Constitution qui renforce considérablement les pouvoirs du président de la République. Les résultats de la première journée du référendum d´hier sont sans appel. Les Frères musulmans ont gagné dans huit provinces avec des scores assez conséquents, alors que le front des démocrates a obtenu tout juste la majorité dans les deux autres, dont le Caire. Dans le camp démocrate, on commence déjà à regretter d´être allé vers cette consultation-piège qui donne plus de légitimité encore au président Morsi qui, le week-end dernier, était encore suspect aux yeux de ses compatriotes et de l´étranger, de vouloir abuser du pouvoir qu´il avait obtenu in extremis par les urnes il y a à peine quelques mois. Ses décrets constitutionnels ne l´auraient pas servi – bien au contraire – s´ils avaient été promulgués dans la pure tradition de pouvoir qui était celle de Moubarak. Or, c´est paradoxalement la rue, du Caire essentiellement, qui va lui donner l´occasion inespérée d´user du référendum pour mettre en minorité la contestation démocratique. En verrouillant le jeu démocratique par un abus de pouvoir, le président aurait de fait perdu du crédit auprès de ses compatriotes, y compris parmi les partisans de Moubarak qui jouent le double jeu qui fait la différence dans tout scrutin. Morsi sait que le mouvement islamiste est majoritaire dans son pays comme dans le reste des pays du printemps arabe. Ce que ses adversaires ne pouvaient pas d´ailleurs ignorer. A tous les coups, il ne pouvait que jouer gagnant, face à des adversaires divisés entre démocrates sincères et partisans du régime Moubarak rejetés par les deux camps. Le référendum égyptien, le premier de l´ère de la démocratie dans ce pays comportait, on le savait, des risques d´être le dernier. Cette tendance à vouloir aller trop vite en démocratie dans des sociétés mal préparées, ou pas du tout, au jeu démocratique, vivant en plus une conjoncture faite de misère sociale et de crise économique aiguë explique pourquoi il n´y avait pas assez de «démocrates», hier, pour espérer battre les islamistes. Cette réalité, parce qu´elle avait été ignorée, avait conduit l´Algérie droit dans les bras du Front islamique du salut (ex-FIS). Une erreur d´appréciation que les Algériens ont payée au prix fort, qui se répète en Egypte, en Tunisie et en Libye où le passage d´un pouvoir politique absolu à un système démocratique de type occidental s´est fait sans transition. C´est une évidence que les deux ans de printemps arabe ont été un véritable fiasco. Le processus de changement démocratique s´accompagne de violences partout là où il a été engagé avec l´appui des démocraties occidentales. Pis, la démocratie déroule le tapis rouge sous les pieds de ses plus farouches ennemis. Deux raisons donc qui expliquent l'impasse démocratique en Tunisie et en Egypte, les deux pays où ont émergé vainement les espoirs d´un monde arabe nouveau où les libertés démocratiques seraient la règle de conduite respectée par tous. La première, c´est la mauvaise préparation du passage sans violence d´un système totalitaire vers la mise en place d´un Etat de droit. La démocratie est une culture qui s´acquiert et ne se décrète pas. La seconde, c´est d´avoir ignoré, en Occident, que le sentiment islamiste est majoritaire dans la quasi-totalité des pays arabes, là où la distribution de la richesse nationale est mal faite. Résultat, les pays du printemps arabe sont des démocraties qui sont aujourd´hui à la recherche de démocrates.