Après une farouche opposition des islamistes d'Ennahda à son projet de formation d'une nouvelle équipe gouvernementale composée essentiellement de technocrates, le Premier ministre tunisien, Hamad Jebali, a annoncé sa démission de la tête du gouvernement après l'échec de sa tentative pour sortir le pays de la grave crise. «J'ai promis et assuré qu'en cas d'échec de mon initiative, je démissionnerais de la présidence du gouvernement et c'est ce que je viens de faire», a-t-il dit dans une déclaration retransmise en direct à la télévision à l'issue d'une entrevue avec le chef de l'Etat Moncef Marzouki. M. Jebali a indiqué avoir demandé à ses ministres de continuer à faire «plus d'efforts pour que l'Etat continue de fonctionner» malgré sa démission. Sans pour autant essayer de semer la zizanie suite à sa décision et tout en insistant sur son projet d'un gouvernement de technocrates, Jebali dira que «l'échec de mon initiative ne signifie pas l'échec de la Tunisie ou l'échec de la révolution», se disant toujours convaincu qu'un gouvernement apolitique «est le meilleur moyen pour sortir le pays de l'errance». Par ailleurs, il a insisté une nouvelle fois sur l'urgence de fixer la date des prochaines élections. Avec cette démission, la Tunisie s'enfonce un peu plus dans la crise. En plus de la crise gouvernementale, la rédaction de la Constitution est dans l'impasse, faute de compromis sur la nature du futur régime. À cela s'ajoutent les conflits sociaux et les difficultés économiques sur fond de misère et de chômage. Les craintes d'instabilité sont également présentes avec les menaces des mouvements salafistes. A priori, hier matin le président tunisien Moncef Marzouki a reçu le chef du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, et la secrétaire générale d'un parti laïque d'opposition alors que les consultations sont en cours pour nommer un nouveau Premier ministre. Dans un communiqué rendu public, la Présidence a indiqué que ces entretiens auront lieu au lendemain de la démission du chef du gouvernement, Hamadi Jebali, qui a échoué à former un cabinet apolitique, face à l'opposition de son propre parti, Ennahda. Ce parti, disposant du plus grand nombre de députés, désigne son candidat au poste de Premier ministre. Il a laissé entendre qu'il pourrait décider de renommer le chef de gouvernement démissionnaire. A priori, le président tunisien a reçu hier Maya Jribi, numéro deux du parti républicain, qui a indiqué, ces derniers jours, qu'elle soutiendrait un gouvernement restreint mêlant politiques et technocrates, tout en insistant pour qu'il soit dirigé par M. Jebali. Rappelons que la Tunisie est plongée dans une interminable crise politique depuis l'assassinat, il y a deux semaines, de l'opposant anti-islamiste Chokri Belaïd. Au lendemain de cet assassinat, le 6 février, Jebali a compris que l'intérêt national lui commandait de réagir, proposant alors la constitution d'un gouvernement de technocrates, dans l'attente d'une constitution qui permettrait enfin que soient organisées des élections. Mais cette idée, soutenue par l'opposition et la société civile, a échoué face à l'opposition des islamistes d'Ennahda. Lors de ses tractations dans la perspective de matérialiser son projet, Jebali a reçu les représentants de l'ensemble de la classe politique, comme il a consulté un «comité des sages» pluraliste, en espérant que les instances dirigeantes d'Ennahda finiraient pas se laisser convaincre. Cela n'a pas été le cas. Ainsi sa démission consacre la division du mouvement islamiste tunisien. Une division profonde parce qu'elle touche à ce qui est fondamental: la démocratie. Pour Jebali comme pour Abdelafatah Mourou, l'un des vice-présidents d'Ennahda, le parti islamiste doit contribuer à construire en Tunisie un Etat démocratique, respectueux de la volonté du peuple. Il doit aussi composer avec les autres familles politiques du pays, notamment l'aile moderniste, qu'elle soit «bourguibienne» ou de gauche. En clair, pour ces hommes-là, l'intérêt national doit primer, et cet intérêt national passe, notamment, par une prise en compte du caractère pluraliste de la Tunisie.