L'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, n'a peut-être rien à voir dans l'affaire Sonatrach. Personne n'en a parlé jusque-là et dans l'absolu, même son petit neveu, par qui le scandale est parvenu jusqu'à lui, est en droit de revendiquer la présomption d'innocence. On peut donc aisément comprendre la réaction indignée de M. Mohamed Bedjaoui qui vient de rendre publique une lettre dans laquelle il se défend d'être mêlé de près ou de loin à cette affaire. Plus que se défendre, il a aussi voulu faire œuvre pédagogique, avec plus ou moins de bonheur. «La presse algérienne a cité le nom de Farid Bedjaoui comme concerné dans cette affaire. Et les journaux ont jugé nécessaire de préciser qu'il est l'un des neveux de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui. Un organe de presse m'a même offert l'inattendu privilège de faire figurer en première page ma photo aux côtés de celle d'un ministre mis en cause dans cette affaire», écrit-il dans son passage introductif. Mais tout de suite après, l'ancien ministre des Affaires étrangères nous rappelle, à son corps défendant, que se défendre et faire preuve de pédagogie ne prémunit pas contre les maladresses. Enfin, maladresses, dans le meilleur des cas. Parce que dans la foulée, il déclare, avec une nonchalance insoupçonnable chez un homme de son niveau : «La presse nationale a ainsi mêlé mon nom à cette affaire de l'ENI, dont je n'ai jamais entendu parler auparavant» ! M. Bedjaoui n'a peut-être rien à voir dans ce scandale de corruption mais il n'a pas été pédagogique que quand il le voulait. Il l'a été aussi – et surtout – quand il ne le voulait pas. Quand une personnalité de son rang, qui a occupé de très hautes fonctions de l'Etat, dont le dernier poste remonte à seulement quelques années, nous dit tout de go, sans que personne ne l'y oblige, qu'il n'a jamais entendu parler du plus grand scandale de corruption révélé à ce niveau de l'Etat, il y a problème ! Si M. Bedjaoui n'en a jamais entendu parler auparavant, pour reprendre ses propres termes, c'est grave. S'il en a entendu parler et le cache, c'est encore plus grave. L'un dans l'autre, il nous renseigne sur l'idée que se font nos responsables sur le sens de l'Etat. Il n'en est peut-être pas l'exemple emblématique mais si on s'en tient à cette déclaration, ça ne doit pas l'offusquer outre mesure que beaucoup de nos gouvernants ne se sentent concernés par les affaires du pays que quand ils sont aux… affaires ! Tout le monde sait comment le «ministre mis en cause dans cette affaire» dont M. Bedjaoui n'apprécie pas particulièrement la compagnie à la une d'un journal a, à chaque fois qu'il a été débarqué de son poste ministériel, fait sa petite valise pour rentrer… chez lui aux Etats-Unis. On dit même qu'il n'avait pas de domicile en Algérie en dehors de la confortable suite de Djenane El Mithak ! Et une «maladresse» en appelant une autre, voilà que M. Bedjaoui se défend aussi «comme tout le monde» : «Je n'ai jamais eu un quelconque rapport avec l'ENI ou la Saipem, ou l'une de leurs filiales… Enfin, pour avoir quitté les services de l'Etat à Alger depuis bientôt six ans, je ne vois pas comment j'ai pu influer sur le cours de l'affaire de l'ENI, dont les principales séquences se seraient déroulées, selon la presse, ces toutes dernières années, en tout cas, à des dates où ma supposée influence ne pouvait qu'avoir disparu et où je n'exerçais plus aucune fonction à Alger.» Décidément maladroit, M. Bedjaoui se défend là où personne ne l'accuse mais il est tout de même resté pédagogique jusqu'au bout. Il nous apprend ainsi au moins trois choses, rien que dans la «chute» de sa lettre. D'abord, qu'on lui reprocherait donc une «influence supposée», ce dont on n'a pas encore entendu parler. Ensuite, que l'«influence» ne peut s'exercer qu'au moment précis où on occupe une haute fonction… à Alger. Enfin, que ce serait normal qu'on puisse le soupçonner si les faits coïncidaient avec la période où il était en poste. On se surprend presque à regretter que la lettre de M. Bedjaoui soit si courte au vu de sa richesse en enseignements. A moins qu'elle ne soit trop longue.