Choqué par la découverte que deux jeunes provinciaux ordinaires aient préféré le jihad et la mort lors d'une prise d'otages en Algérie à la vie tranquille dans leur pays prospère, le Canada s'interroge sur les raisons qui les y avaient poussés. La présence de deux Canadiens parmi les membres du commando islamiste ayant attaqué le 16 janvier le site gazier algérien d'In Amenas avait été révélée par Alger dès le dénouement sanglant ayant fait 67 morts, 38 otages et 29 assaillants. Mais dans un premier temps le mutisme complet des autorités canadiennes a affaibli l'impact de cette information sur l'opinion. Ce sont les révélations en série des deux chaînes publiques, Radio-Canada et CBC, sur l'identité des deux preneurs d'otages morts, Ali Medlej, 24 ans, et Xristos Katsiroubas, 22 ans, et de leur camarade Aaron Yoon, 24 ans, dont on sait seulement qu'il se trouve actuellement en prison en Afrique du Nord, peut-être en Mauritanie, qui ont fait monter l'intérêt du public. Les deux Canadiens se seraient fait sauter dans l'explosion d'une bombe puissante qui avait tué les derniers otages en vie, lors de l'assaut final des forces algériennes. Mais les recherches des médias n'ont pas permis de retracer l'itinéraire de ces jeunes gens, certes d'origines diverses, mais faisant partie de la classe moyenne canadienne et vivant dans un quartier tranquille, jusqu'à leur rupture avec leurs familles respectives, il y a quelques années. Ils auraient vécu ensuite de petits boulots, rencontrant peut-être quelques tracasseries, tel un employeur supportant mal qu'ils prient plusieurs fois par jour. La police fédérale se serait intéressée à eux, sans que cela débouche sur des poursuites. Les questions que l'opinion se pose depuis le début de la semaine ont trouvé leur reflet dans un appel à l'aide - démarche exceptionnelle - lancé jeudi par la Gendarmerie Royale du Canada, la police fédérale. "Dans le cadre de notre enquête, la Gendarmerie royale du Canada est intéressée à déterminer les circonstances qui ont amené Ali Medlej et Xristos Katsiroubas à quitter le Canada", a déclaré un porte-parole de la GRC, Marc Richer. Il a précisé que la GRC cherchait à identifier les personnes qui pourraient les avoir aidés à quitter le Canada. Car les deux jeunes de London, en Ontario, qui ont fréquenté ensemble une école secondaire, sont partis tout récemment, apparemment en 2011 ou 2012, la police se refusant à fournir une date. Et c'est au Canada que Xristos Katsiroubas, élevé dans une famille grecque orthodoxe, s'était converti à l'Islam. Tout comme son camarade d'école Aaron Yoon, issu d'une famille catholique d'origine coréenne. Ce dernier aurait été arrêté avant l'attaque d'In Amenas et ses liens avec les deux membres du commando restent inconnus. Selon son frère aîné, qui vit toujours à London, il n'aurait pas voyagé avec Katsiroubas et Medlej, et se serait rendu au Maroc - où il les aurait rencontrés -, puis en Mauritanie, pour y apprendre l'arabe et étudier le Coran. Mais la crédibilité de ce frère - demandant l'anonymat - a été affaiblie, car il a soutenu notamment, devant les médias locaux, qu'Aaron Yoon était libre de ses mouvements, alors qu'un responsable du ministère canadien des Affaires étrangères a confirmé peu après qu'il était en prison "à l'étranger". La radicalisation des autres serait-elle due à une crise d'adolescence, voire un conflit entre certaines tentations et l'Islam ? Un ami d'Ali Medlej interviewé par la CBC a rapporté une conversation avec ce dernier. Le jeune homme lui aurait confié être déchiré entre la recherche de spiritualité et ses goûts pour les filles et la boisson. "Il est difficile pour moi d'être musulman pratiquant, donc pourquoi ne pas devenir martyr et aller droit au paradis au lieu de faire des efforts dont je semble incapable?", se serait-il demandé.