Les stigmates des émeutes du logement demeurent encore visibles à Ouargla, qui reprend peu à peu le cours normal de la vie. Ses venelles, ses édifices et institutions publics sont toutefois sous très haute surveillance policière et autres escouades de SNS, dépêchés il y a peu, dit-on, de Boukhalfa (Tizi Ouzou), sur les lieux des récents incidents pour préserver la ville d'autres éventuels actes de vandalisme. Surtout que le sort d'une cinquantaine de personnes, arrêtées lors des évènements déplorables (présentées hier devant le procureur) n'est pas encore connu. Ce qui risque d'exacerber la tension toujours vive au centre-ville comme à Rouissat ou dans d'autres communes. Faire éclater la vérité et la justice semble, une semaine après les évènements, être le leitmotiv de toute une population lasse de voir s'embraser sa cité à longueur d'année. «Personne ne va échapper à la justice», tente de rassurer le wali de Ouargla, Ali Bouguerra, anciennement wali de Bouira, rapportent des sources proches de cette institution (wilaya). Le même responsable, qui n'hésite pas à «recevoir tout le monde», société civile, notables… avec lesquels il a tenu plusieurs réunions pour tenter de dénouer la crise, et après avoir gelé «les listes de la discorde», a ordonné une enquête dont il supervisera la commission composée de représentants des services de sécurité, de l'administration et des APC de Ouargla et Rouissat notamment. Outre les personnes supposées impliquées dans les évènements, présentées actuellement devant la justice, l'enquête concernera également les responsables. A commencer par le chef de daïra, en sa qualité de président de la commission d'attribution de logements, et les présidents des APC de Rouissat et de Ouargla, affirment nos sources. «L'enquête ne sera pas un simple travail administratif, il y aura des contrôles sur le terrain», précise la même source. C'est, en effet, au niveau de ces deux communes qu'ont eu lieu les incidents suite à l'affichage des listes des bénéficiaires de logements sociaux (plus de 400 à Rouissat et 669 à Ouargla). Deux bouts de papier qui ont allumé le brasier. Les services de sécurité enquêtent Qui est derrière ces évènements ? Et pourquoi cibler des édifices publics plus spécifiquement (banques, direction de l'éducation…) ? Les Ouarglis accusent «une certaine maffia», sans doute pas du tout de mèche avec les banques notamment, d'être l'instigatrice principale. Des témoins, qui s'expriment sous le sceau de l'anonymat, ont affirmé au Temps d'Algérie avoir aperçu des personnes circulant en voiture distribuant des sandwichs et autres cadeaux aux jeunes pour les inciter à l'émeute. D'où, explique-t-on, la présence de beaucoup de mineurs parmi les personnes arrêtées. Les députés de la région «font le même travail», soutiennent ces mêmes sources, ce qui est, si cela s'avère juste, un grave précédent qui renvoie au dessein de ces «élus». De sources sécuritaires, nous apprenons qu'une enquête est en cours à ce sujet. Les révélations de cette enquête risquent de «faire tomber des têtes». Des responsables locaux sont aussi «responsables». «Pourquoi en cette période précise, où il est plus que jamais question d'unité nationale, fait-on subitement apparaître l'appartenance régionale des bénéficiaires ?», s'interroge un militant des droits de l'homme qui révèle que les «listes de la discorde» affichées au lendemain des émeutes comportaient effectivement un détail de taille : le lieu de naissance des bénéficiaires. «Alors que les jeunes chômeurs du Sud réclament leur ‘quota' de postes d'emploi, voilà qu'on jette un autre pavé dans la mare», commente la même source. Il n'y a pas eu de distribution de logements sociaux depuis dix ans à Ouargla, apprend-on. Le cumul des demandes a atteint le chiffre de 31 000 pour la seule daïra du chef-lieu. Un paramètre non négligeable qui pourrait aussi constituer une des raisons à l'origine de la colère qui a dégénéré et glissé dangereusement vers l'émeute jusque-là maîtrisée mais qui risque de reprendre à tout moment. Hier encore, des dizaines de jeunes se sont regroupés devant le tribunal de Ouargla attendant, avec des cris et autres slogans, le «verdict» concernant la cinquantaine de personnes présentées devant le procureur. Des sources sécuritaires affirment que d'autres interpellations ont eu lieu dans la nuit de lundi à mardi. Ils seraient, selon les mêmes sources, 58 personnes. Si près d'une trentaine de personnes a été relâchée, plusieurs chefs d'inculpation ont été retenus contre les autres manifestants, notamment vol, destruction de biens publics et privés, agressions… Des dégâts considérables Les dégâts de quatre jours d'émeutes et de «casse», mercredi à samedi, sont considérables. Outre les dizaines de blessés, des civils et des policiers, et le décès d'un jeune «par asphyxie», dû au gaz lacrymogène qu'il aurait inhalé, affirme-t-on, plusieurs édifices publics ont été saccagés. A commencer par l'agence Cnep, dont le directeur, A. Merabet, qui se trouvait à Hassi Messaoud au moment des faits, et qui, «appelé en urgence» pour tenter d'apaiser la tension, a malheureusement trouvé la mort à quelque 20 km de Ouargla dans un fâcheux accident de la circulation, affirme-t-on. L'agence Mobilis, les sièges de la daïra, de la direction de la formation professionnelle et 4 autres centres de formation ainsi que la direction de l'éducation, où une importante quantité de matériel informatique a été dérobée, ont été également sérieusement endommagés. Tout comme a été incendié le câble de fibre optique au niveau de Makhadma, qui dessert six wilayas (Ouargla, Ghardaïa, Laghouat, Illizi, El Oued et Tamanrasset), ce qui a provoqué une coupure nette de la connexion Internet pendant presque toute la journée de jeudi, avant qu'elle ne soit rétablie progressivement. Quatre véhicules de type 4x4, appartenant à une société chinoise qui travaille dans le secteur de l'hydraulique, ont été volés et un cinquième a été endommagé. La même société a été aussi victime du vol d'un lot de matériel. Nos sources ignorent jusqu'à présent si les véhicules ou le matériel ont été récupérés. Promesses : 2300 logements à distribuer avant le Ramadhan Selon la wali de Ouargla, rapportent nos sources, toutes les institutions publiques (direction de l'éducation, celle de la formation…) reprendront du service au plus tard dimanche matin. «La daïra est déjà fonctionnelle», nous indique-t-on, ce que nous avons pu vérifier sur place. Il reste que la tension demeure malgré les promesses du wali. Ce dernier vient d'annoncer, affirment des sources proches de l'institution qu'il dirige, que d'autres logements seront distribués «avant le mois de Ramadhan». Il s'agit, révèlent nos sources, de 2300 logements entrant dans le cadre des programmes du Logement promotionnel aidé (LPA) ou encore celui de la résorption de l'habitat précaire (RPH) (870 sur 2300). «1700 unités sont déjà prêtes et le reste est en voie d'achèvement», assure le wali. Toutes ses promesses suffiront-elles pour ramener le calme définitivement ? Pas si sûr. Les sans-emploi se mettent de la partie L'alternance» désormais consacrée entre «émeutes du logement» et «revendications des jeunes sans emploi» est «respectée». Le même responsable (wali) avait eu, avant-hier, à se déplacer à Touggourt où des sans-emploi ont organisé, la veille, une marche suivie d'un rassemblement pour protester contre «l'injustice» qui a, selon eux, caractérisé une récente liste d'offres d'emploi (600 postes) émanant de Sonatrach et dont 4 personnes seulement de Touggourt, selon les protestataires, en auraient bénéficié, le reste est partagé entre Ouargla et Hassi Messaoud. Le premier responsable de la wilaya leur a promis, apprend-on, 3200 postes pour la seule Sonatrach. Dans la seconde ville (Hassi Messaoud), ce sont d'autres chômeurs qui ont procédé à la fermeture de l'axe routier principal qui mène vers d'autres villes pour protester contre les sociétés pétrolières qui «n'auraient pas respecté les directives du Premier ministre Abdelmalek Sellal». Tandis que quelques notables et des militants associatifs font le tour des quartiers appelant au calme, le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) revient, quant à lui, à la charge et compte tenir demain un rassemblement national à Ouargla suivi d'une marche vers le siège de la wilaya. Selon Tahar Belabbès, coordinateur du CNDDC, il s'agira, en plus des revendications relatives à l'emploi, de demander «une commission d'enquête à propos des instigateurs des émeutes du logement». Des gens connus de tous, affirme-t-il. Le CNDDC avait, rappelle-t-on, tenu un sit-in devant le tribunal de Ouargla pour soutenir les personnes arrêtées, «innocentes», selon le comité. Les manifestations qui s'alternaient auparavant, s'entremêlent maintenant et vont crescendo. La tension est des plus électriques. De notre envoyé spécial