Sous un soleil de plomb et une chaleur étouffante, les professionnels de la santé étaient nombreux à manifester leur ras-le-bol lors d'un sit-in organisé à l'appel de l'intersyndicale de la santé. La motivation de ces professionnels du secteur est restée intacte malgré le long dispositif sécuritaire mis en place par les éléments de la police, un dispositif que de nombreux praticiens ont déploré car ils estiment ne pas devoir être traités comme des voyous au vu de leur mission. En milieu de journée, le sit-in a pris des allures de plébiscite pour les représentants de l'intersyndicale. Les mots d'ordre d'une large participation et d'une manifestation pacifique ont été largement suivis. Toutefois, gêné d'être cantonnés sur la placette qui jouxte le ministère, certains adhérents se sont introduits dans la route qui y mène, ce qui a fortement déplu aux forces de police qui se sont dépêchés pour contenir ce rassemblement en utilisant également un de leurs véhicules pour bloquer le passage. Certains praticiens ont été bousculés ; la pression montant, les SG de l'intersyndicale ont temporisé pour éviter toute confrontation qui aurait nui à la mobilisation. Ainsi, M. Merabet, SG du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), a regretté les tentatives d'intimidation. «On nous ferme la voie publique alors que notre manifestation est pacifique. Notre présence, ici, n'a rien d'une partie de plaisir. Nous sommes là pour revendiquer nos droits légitimes. Cela fait des années que nous luttons, sans que rien de concret nous ait été donné. Aussi, en usant de tels procédés répressifs, on veut pousser les syndicalistes à la radicalisation, une situation qui arrangerait certains puisque quand nous manifestons dans un cadre pacifique, ils ne peuvent pas s'en prendre à nous. On nous traite comme des voyous mais nous ne sommes pas responsables de la décadence du secteur ; au contraire, nous sommes là pour alerter sur le risque de créer un système de santé à deux vitesses où le système de gratuité risque de disparaître», a-t-il dénoncé. Des hôpitaux devenus de vrais mouroirs Des praticiennes des EPSP de Bouchaoui et de la polyclinique de Dely Ibrahim ont tenu à témoigner de la dure réalité à laquelle elles sont confrontées chaque jour. En préretraite, elles estiment que malgré leur abnégation, leur tutelle risque de briser leur volonté à l'usure. «Cela fait des années que nous sommes nourris de belles promesses sans lendemain. Nous avons choisi ce métier par vocation mais nous sommes fatiguées de devoir gérer au jour le jour des situations dramatiques. Nous avons du mal à assurer nos consultations car nos conditions de travail n'ont cessé de se dégrader. Nous manquons de tout, imaginez que durant plus de trois mois dans les salles de soins, nous étions dépourvus de produits d'urgence. Nous avons pu nous procurer des antalgiques grâce à des dons de laboratoires. C'est grave, tous les jours, nous avions peur qu'un de nos patients meure à cause de ces pénuries. Au service dentaire, nous nous sommes retrouvées sans anesthésiant pendant plus de trois mois. Nous avons dû refuser de nombreux patients qui ne comprennent pas qu'en l'absence de ces produits, on ne peut leur prodiguer les soins élémentaires. Parfois, certains sont violents, alors on cède mais nous exerçons la médecine avec les moyens du bord», ont-ils déploré. Tous ont estimé que les conditions de travail, le gel des carrières, le mépris pour la profession n'ont fait qu'accentuer le fossé entre la tutelle et les praticiens. Interrogés sur le service minimum qui aurait connu des dysfonctionnements durant ces trois journées de protestation, ils ont estimé qu'il avait était très bien assuré, voire au-delà de ce qu'il devrait être. «On se demande pourquoi on nous accuse d'un tel manquement. Nous pensons que certains ne saisissent pas toute la portée du mot urgence et se précipitent dans ce service pour se faire soigner ne serait-ce que pour une angine. Le citoyen doit comprendre que si l'on est en grève, c'est aussi pour améliorer les conditions de soins car nos hôpitaux sont devenus de vrais mouroirs. Les patients pensent que nous débrayons uniquement pour des questions pécuniaires alors que ce n'est pas le cas», ont-ils déclaré. Abondant dans le même sens, M. Kedad a jugé que le corps médical n'a jamais failli à ses responsabilités et qu'il va falloir fournir des preuves tangibles qu'il y a eu des failles à ce niveau. L'une des praticiennes interrogées a estimé pour sa part que certains ont fait valoir que les salaires des praticiens sont très importants et ce, pour entretenir l'animosité de la population à leur égard en ces temps de protestation. «Avec 30 ans de carrière, mon salaire est de 64 563,72 DA. Mon salaire de base est d'à peine 30 000 DA, alors il ne faut pas faire croire à la population que nous gagnons un salaire astronomique», a-t-elle affirmé. Des répercussions sur le patient qui sont assumées Interrogé sur les répercussions de ces trois journées de grève sur les patients, M. Merabet a jugé que les citoyens doivent comprendre qu'à travers ces mouvements, les syndicats agissent pour le bien du secteur même si cette mobilisation, qui a pris une très grosse ampleur au vu des nombreux corps impliqués, peut avoir une incidence négative sur les patients. «Nous comprenons la colère de nos patients. Toutefois, je tiens à leur dire que nos doléances ne relèvent pas exclusivement d'une amélioration de nos conditions socioprofessionnelles. Nous sommes et avons toujours été solidaires des malades. Nous avons toujours dénoncé l'absence de prise en charge des patients atteints de cancer, de maladies chroniques. Nous avons toujours évoqué les pénuries de vaccins et de produits consommables, la priorité donnée au secteur privé alors que le public est au cœur du système de santé. Nos concitoyens ne peuvent pas nier que nous avons toujours été au premier rang pour défendre l'égalité dans l'accès aux soins. Alors oui, nous sommes conscients que ce débrayage incommode le malade et crée des tensions mais la responsabilité incombe à notre tutelle», a-t-il déclaré. De son côté, M. Kedad juge également que le ministre a adopté une démarche qui va à l'encontre du dialogue social. Il a ajouté que les revendications qui auraient été prises en charge ne sont pas les doléances prioritaires visant l'amélioration des problématiques qui minent le secteur. Il a par ailleurs affirmé que l'amendement du statut particulier sur le plan réglementaire, relève bien des prérogatives du ministère. Concernant le mécontentement des malades, il a fait savoir que ce n'est pas exclusivement en période de grève que les patients signifient un tel ressentiment mais qu'ils se manifestent à longueur de temps et que le ministre devrait en tenir compte durant toute l'année au lieu de prétexter de la grève pour s'aligner sur le mécontentement des malades. Des entraves aux libertés syndicales de nouveau enregistrées Interrogé sur la déclaration de la chambre administrative qui, en statuant en référé, a déclaré la grève illégale, les praticiens ont indiqué ne pas avoir été surpris car cela arrive à chaque mobilisation. Pour M. Kedad, la justice n'a pas qualifié la grève d'illégale mais elle a ordonné l'arrêt de la protestation, une nuance qui est importante selon lui car en communiquant ainsi, le ministère de la Santé tente de démobiliser et briser la dynamique du mouvement. «Il faut respecter le droit syndical. Au lieu de trouver des solutions, le ministre recourt a de telles pratiques alors qu'il nous avait promis qu'il n'usera pas de tels procédés à notre encontre. Un mensonge de plus», a-t-il déploré. Des praticiens nous ont également fait savoir que leurs administrations respectives avaient tenté de les intimider en usant de mesures coercitives dont les ponctions sur salaire, la réquisition «alors que toutes ces mesures doivent être instaurées par voie judiciaire», ont-ils fait savoir. Selon M. Merabet, de nombreuses délégations provenant de la wilaya de Tizi Ouzou ont été empêchées de se rendre sur les lieux, les véhicules portant un sigle médical ont été arrêtés, «tout ceci, pour nuire au mouvement», a t-il regretté. De son côté, M. Kedad a regretté que certains responsables aient employé de telles méthodes pour casser la mobilisation. «Ces gestionnaires ont obligé certains de nos confrères à ne pas quitter leurs postes afin qu'ils n'assistent pas à notre sit-in en les menaçant d'être sanctionnés devant un conseil de discipline. Ils ont par ailleurs procédé au recensement de chaque service, tentant ainsi d'empêcher notre dynamique de protestation. Toutefois, au vu de la mobilisation, nous estimons que désormais la balle est dans le camp de notre tutelle. Nous espérons qu'elle fera preuve de sagesse et qu'elle nous convoquera de nouveau sous peine de radicaliser notre mouvement», a t-il dit, ajoutant que la réunion d'évaluation de la portée de ces mouvements et des suites à en donner seront examinés demain (aujourd'hui). «Si les portes du dialogue restent fermées, nous comptons durcir notre mouvement ; reste à trouver les formes que nous lui donnerons», a t-il affirmé.