Sept ans après la révélation que le renseignement américain, sous George W. Bush, conduisait une surveillance des appels téléphoniques aux Etats-Unis, l'administration de Barack Obama a dû se justifier jeudi d'avoir secrètement maintenu et étendu le programme. Le quotidien britannique The Guardian a publié mercredi soir une ordonnance de justice secrète forçant l'opérateur américain Verizon à livrer quotidiennement à l'Agence nationale de sécurité (NSA) la totalité des données téléphoniques de ses abonnés, d'avril à juillet. Des parlementaires tenus au courant du programme par l'exécutif ont ensuite annoncé que la surveillance sous cette forme durait depuis sept ans, confirmant que l'ordonnance révélée par le Guardian n'était qu'un renouvellement de routine. La collecte par la NSA, dont les serveurs interceptent déjà des milliards de communications téléphoniques et électroniques dans le monde, est un "outil crucial" pour lutter contre le terrorisme, a commenté jeudi matin un haut responsable américain, qui s'exprimait sous couvert de l'anonymat. Ce dernier a insisté sur le fait que l'ordonnance "ne permettait pas au gouvernement d'écouter les conversations téléphoniques de quelqu'un" et ne portait pas sur "le contenu des communications ou le nom des abonnés". Il s'agit de "métadonnées, tels qu'un numéro de téléphone ou la durée d'un appel", a souligné ce responsable. Verizon dispose de 121 millions d'abonnés (fixe et mobile). "L'information qu'ils recherchent est à l'autre bout de l'appel", a expliqué Saxby Chambliss, vice-président républicain de la commission du Renseignement du Sénat, lors d'une conférence de presse. "Si un numéro correspond à un numéro terroriste appelé depuis un numéro américain (...) alors il peut être signalé, et ils peuvent demander une ordonnance de justice pour aller plus loin dans ce cas précis". "Cela sert à débusquer (quelqu'un) avant que quelque chose n'arrive, cela s'appelle protéger l'Amérique", a assuré Dianne Feinstein, la présidente démocrate de la commission, qui a confirmé que les élus habilités du Congrès étaient régulièrement informés par l'exécutif. "Patriot Act" Mais la révélation a concrétisé les pires craintes des défenseurs des libertés individuelles, qui tentent depuis des années de faire la lumière sur l'utilisation par le gouvernement d'une clause du "Patriot Act", la loi antiterroriste votée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. "Cela va au-delà d'Orwell", a dénoncé Jameel Jaffer, de la grande ONG American Civil Liberties Union (ACLU), en référence au livre d'anticipation de George Orwell, "1984". ACLU est allée en justice, en vain à ce jour, pour forcer le gouvernement à s'expliquer sur l'utilisation du Patriot Act. "C'est une nouvelle preuve de l'étendue avec laquelle les droits démocratiques de base sont remisés au second plan, en secret, au profit des agences de renseignement qui n'ont de comptes à rendre à personne", a-t-il indiqué dans un communiqué. En 2006, le quotidien américain USA Today avait déclenché un choc aux Etats-Unis en révélant que la NSA collectait secrètement les données de communications d'Américains auprès des grands opérateurs du pays. Le programme ne concernait alors que les communications entre un interlocuteur situé aux Etats-Unis et un autre à l'étranger. L'administration de George W. Bush avait ensuite modifié le programme pour que les demandes de saisies passent par un juge d'une cour secrète, dédiée aux écoutes. Depuis 2001, le Congrès a prolongé le Patriot Act et assoupli les critères permettant au FBI de réclamer les données téléphoniques, notamment en vrac. Les réactions des élus étaient partagées jeudi, certains n'ayant visiblement pas été informés de l'ampleur exacte de la surveillance. "S'il ne s'agit que de cibler (les jihadistes), je ne pense pas que j'ai un problème", a dit le républicain John McCain. "Mais s'il s'agit de chercher en vrac qui appelle qui, en toute circonstance, alors cela mérite des auditions parlementaires".