Le modéré Hassan Rohani arrivait samedi largement en tête du premier tour de l'élection présidentielle en Iran, avec près de 51% des voix et une large avance sur ses adversaires conservateurs, selon des résultats partiels reposant sur 76% des bureaux de vote. Une éventuelle victoire du candidat soutenu par les camps modéré et réformateur ne marquera toutefois pas une rupture dans la politique de la République islamique, les dossiers stratégiques comme le nucléaire ou les relations internationales étant sous l'autorité directe du guide suprême Ali Khamenei. Cette élection intervient sur fond de grave crise économique due aux sanctions internationales imposées à l'Iran en raison de son programme nucléaire controversé et quatre ans après la victoire contestée dans la rue du conservateur Mahmoud Ahmadinejad. D'après le décompte partiel (76% des bureaux de vote), M. Rohani, 64 ans, a obtenu 14,2 millions de voix, soit 50,8%, après le dépouillement de "27,6 millions de bulletins", selon un décompte à 17H00 (12H30 GMT) annoncé par le ministère de l'Intérieur. Il devance largement trois conservateurs: le maire de Téhéran Mohammad Bagher Ghalibaf (15,6%), l'ex-chef des Gardiens de la révolution, l'armée d'élite du régime, Mohsen Rezaï (11,3%) et l'actuel chef des négociateurs nucléaires, Saïd Jalili (11,4%). Les deux autres candidats, l'ex-chef de la diplomatie Ali Akbar Velayati et Mohammad Gharazi, arrivent plus loin derrière. Les résultats complets sont attendus en soirée. Un deuxième tour est prévu le 21 juin si le candidat en tête n'obtenait pas plus de 50% des voix. AUCUNE IRREGULARITE MAIS Le ministère n'a donné aucun chiffre de participation au scrutin, mais il devrait dépasser les 70% en raison de la forte mobilisation des Iraniens dont plus de 50,5 millions étaient appelés aux urnes, selon des responsables. En 2009, ce taux était de 85%. "Le peuple a créé l'épopée", lance Jam-e Jam en saluant un vote massif. Les opérations de vote ont été prolongées de plusieurs heures en raison de l'affluence. Aucune irrégularité n'a été constatée, a précisé le Conseil des gardiens de la Constitution, mais le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'Homme en Iran, Ahmed Shaheed, a estimé avant le scrutin que le climat politique dans le pays ne permettait pas de qualifier de "libre et équitable" la présidentielle. Proche de l'ex-président modéré Akbar Hachémi-Rafsandjani, M. Rohani a bénéficié du désistement du candidat réformateur Mohammad Reza Aref et de l'appui du chef des réformateurs Mohammad Khatami. Tout en étant le représentant de l'ayatollah Khamenei au Conseil suprême de la sécurité nationale, il prône plus de souplesse dans le dialogue avec l'Occident, un dialogue qu'il avait dirigé entre 2003 et 2005 sous la présidence Khatami. Durant la campagne, il a évoqué de possibles discussions directes avec les Etats-Unis, ennemi historique de l'Iran. Saïd Jalili, membre de l'aile dure du régime, ou M. Ghalibaf refusent, eux, toute "concession". DEPLOIEMENT POLICIER Alors que les candidats avaient demandé à leurs partisans d'éviter tout rassemblement avant l'annonce des résultats complets officiels, la vie à Téhéran poursuivait son cours normal même si les forces de l'ordre ont été déployées sur les grandes places. Une trentaine de personnes étaient rassemblées devant le QG de campagne de M. Rohani à Téhéran, arborant des portraits du candidat. En 2009, l'annonce de la réélection de M. Ahmadinejad dès le 1er tour avait provoqué des heurts entre police et partisans des candidats réformateurs malheureux, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, et des semaines de manifestations de masse dénonçant des fraudes massives. La contestation avait été sévèrement réprimée et les deux ex-candidats sont en résidence surveillée depuis 2011. Pour les réformateurs, l'enjeu du scrutin était de mobiliser ceux qui avaient manifesté contre la réélection de M. Ahmadinejad puis juré de ne plus participer à un scrutin qu'ils estimaient joué d'avance. Pour les conservateurs, il s'agissait de montrer que le peuple soutenait le régime face aux "ennemis". Mais la majorité des électeurs partageait la même préoccupation: la crise économique provoquée par les sanctions internationales et qui se traduit par une hausse du chômage, une inflation supérieure à 30% et une dépréciation du rial de près de 70%. Ces sanctions ont été imposées pour contraindre l'Iran, accusé malgré ses démentis de vouloir se doter de l'arme atomique, de cesser ses activités sensibles. Selon la Constitution, le président est le deuxième personnage de l'Etat et ses capacités d'action sont limitées sur les dossiers stratégiques, tel le nucléaire. De plus, M. Rohani, s'il est élu, devra composer avec les frères Ali et Sadegh Larijani, deux conservateurs à la tête respectivement du Parlement et de l'Autorité judiciaire. Israël, l'autre ennemi juré de l'Iran, et les Etats-Unis ont d'ailleurs souligné que l'élection n'apporterait pas de changement dans la politique iranienne.