A quelques encablures de la présidentielle, le chef de l'AIS a tenu à répondre à ceux qui se (re)mettent en rangs serrés pour tirer sur ceux qui ont choisi la voie de la concorde. C'est parce que la scène politique et sécuritaire s'agite de façon très particulière, que Madani Mezrag, émir national de l'AIS, organisation armée en trêve depuis le 1er octobre 1997, et autodissoute depuis le 13 janvier 2000, a tenu à apporter ces précisions. Mezrag, qui s'exprime au nom de l'AIS en tant que structure armée qui avait pris les armes et le maquis, puis qui s'est mise sous l'autorité de l'Etat, semble déterrer la hache de guerre. Contre qui? Ecoutons-le: «Je me suis déjà prononcé sur des sujets aussi pointilleux que la trêve, la réconciliation, la concorde, et je suis sûr que cela aurait été suffisant pour convaincre les gens que tout ce que nous avions entrepris avait été mûrement réfléchi et soumis à l'approbation des leaders politiques et armés de notre mouvance. Je pense aussi que ce qui a été dit vaut la peine qu'on s'y arrête et nous dispense d'entrer dans des débats très détaillés et qui - pour le moment - ne sont pas de nature à apaiser les douleurs». Au centre d'attaques en série, Mezrag commence par tirer sur ses principaux détracteurs: le clan éradicateur, le «hizb frança» de la vox populi: «Ce sont eux qui ont - de par leur politique répressive et outrancière - contribué à attiser le feu de la discorde et essaient encore aujourd'hui d'éloigner l'Algérie de sa nature et de son environnement arabo-islamique». Saïd Sadi est qualifié de «représentant de la pieuvre éradicatrice» laquelle étend ses tentacules sur toutes les structures de l'Etat, et qui, à elle seule, en premier lieu, constitue la menace permanente pour un pays comme l'Algérie. Remontant loin dans le temps, Madani Mezrag décrit avec force détails la logique de la confrontation qui s'est insidieusement installée entre le pouvoir et les islamistes depuis 1988, et qui s'est accentuée de jour en jour, nourrie et alimentée par les éradicateurs du pouvoir et des cercles décideurs. «C'est à l'abri de la douleur et du danger, à l'ombre des gardes, de jeunes soldats, policiers et gendarmes, que les éradicateurs ont décidé du tout répressif, qui a abouti à la guerre civile.» Mezrag retrace «l'itinéraire de la haine» et les étapes qui ont radicalisé les positions des jeunes islamistes: ra-fles, camps du Sud, cycles émeutes-répression, détentions, etc. Cette situation s'est d'autant plus aggravée qu'il y eut des cas de graves dérapages de part et d'autre, ce qui a mené à une «cassure» définitive entre les deux camps en conflit. Pour le chef de l'AIS, c'était justement «l'objectif recherché par les éradicateurs» et le motif qui allait, de fait, justifier leur politique répressive à partir de 1992. «Il a fallu beaucoup de temps pour trouver des hommes de bonne volonté qui ont essayé de déjouer cette fatalité de la guerre totale, et qui ont tenté, d'arrêter l'effusion de sang et freiner la machine de la mort», a-t-il ajouté, tout en fustigeant, au passage, les organisateurs du colloque international d'Alger sur le terrorisme (26-28 octobre 2002, ndlr) qui, «au moment où la réconciliation commençait à peine à se former, ils se sont dépensés sans compter pour faire le procès de l'islamisme et crier haut et fort leur victoire sur le terrorisme et les groupes armés, en arborant leurs trophées de guerre, faits de la perte de milliers de vies humaines». Usant d'un langage d'une très rare virulence, Madani Mezrag rappelle que sans les plus sages chefs de combat des groupes armés, ce langage triomphaliste n'aurait pas eu sa raison d'être, et qu'à l'évidence, il faut encore beaucoup d'humanité et d'humilité pour parler de l'«éradication du terrorisme». Allant au plus profond des choses, il dévoile le fond de sa pensée: «Il s'agit aujourd'hui, de faire front à ces éradicateurs et de ne pas leur livrer l'Algérie pieds et poings liés, au nom de la sacro-sainte ‘‘guerre totale contre l'intégrisme'', contre leur travail de travestissement des valeurs algériennes». Qui sont ces gens-là? «Ce sont ceux-là mêmes qui font de ‘‘sauver l'Algérie du terrorisme'' leur cheval de bataille pour abrutir le peuple, ce sont les caporaux de Lacoste et les ‘‘hizb frança''.» «Le terrorisme persiste encore en Algérie, à une échelle dont ne se doutent pas encore les autorités et les embuscades continuent à tuer les soldats, fils de ce peuple meurtri» et d'ajouter: «Parmi ces soldats qui tombent encore sous les balles des groupes armés, il n'y a ni les fils de Saïd Sadi, ni ceux de Hachemi Chérif, ni encore moins ceux de Aslaoui et des Chefs des gouvernements successifs». Pour toute la douleur qui persiste encore, Mezrag préconise la concorde et la paix: «Il n'y a pas eu à vrai dire de victoire pour les éradicateurs. La guerre, ils l'avaient planifiée et ne l'avaient plus maîtrisée. La paix, c'est nous, avec les véritables chefs militaires du terrain, qui l'avions imposée. En fait, ce sera encore, avec les pacificateurs, les fédérateurs qui sauveront l'Algérie.»