Le Djurdjura orgueilleusement emmitouflé dans un manteau blanc saisit la vue. Tala Guilef, joyau de la nature dont le majestueux Djurdjura est l'écrin, culmine à plus de 1800 m . Cette année, cette station d'hiver a pris sa revanche. D'abord, naturelle puisqu'il a abondamment neigé cette saison, puis pratique puisque les familles ont repris la route sinueuse qui monte de Boghni au parc national du Djurdjura et inévitablement vers Tala Guilef. De Boghni déjà, même à l'oeil nu, le spectacle est féerique. Le Djurdjura orgueilleusement emmitouflé dans un manteau blanc saisit la vue. A la sortie est de Boghni, le village d'Ath Mendès est le premier passage obligé d'un itinéraire sinueux près de 20 kilomètre avant la station d'hiver. La seconde escale est le village de Mahbane puis la carrière. En continuant la route, le plan devient de plus en plus panoramique et plongeant. Boghni est désormais loin en-dessous et apparaît bercé dans un creuset profond. On n'y voit que les toits des maisons. En traversant la carrière et en atteignant le col du coq (Ighil Ouyazidh), l'air devient plus frais et les pneus crissent. Le verglas fait son effet. La neige ou plutôt la mer est toute proche. Le paysage épilé cède la place à une forêt dense de cèdres. Perchés sur les falaises, les macaques scrutent d'un regard innocent l'incessant carrousel avant de fuir au moindre geste suspect. Au fil des kilomètres, la neige devient de plus en plus épaisse et les files de voitures interminables. Les visiteurs viennent de partout notamment d'Alger. Cela fait plus de huit ans que Tala Guilef, jadis attraction hivernale n'a pas vu cela. La peur a désormais changé de camp, même si la vue des treillis militaire vous rappelle que cette région a, pour sa part, vécu son lot de terreur. En effet, en 1994, Ahmed Baïche (aujourd'hui incarcéré à Tizi Ouzou), alors émir du GIA de la Kabylie méridionale, avait réduit en cendres l'hôtel El-Arz. Cependant, Tala Guilef, aujourd'hui, joyeuse comme ces rires d'enfants découvrant le bain de neige, semble avoir résisté aux morsures des hommes et des ans. Vigilants, les militaires installés à l'hôtel et à l'auberge ne laissent personne s'aventurer au-delà du périmètre sécurisé. C'est dire que la menace terroriste, seconde nature des temps qui courent, est omniprésente. Le GIA banni de la Kabylie a cédé la place à son frère de sang, le Gspc. Les sigles ont changé, mais l'odeur de la mort est restée la même. Ainsi, en famille, en groupes d'amis ou individuellement, on vient à Tala Guilef pour expurger le stress de la monotonie quotidienne et se recharger en oxygène. A quelques encablures de l'hôtel El-Arz, ou ce qui en reste, au lieu-dit le Bassin, la circulation est bloquée. 80 cm de neige, durcis par le froid, se dressent en obstacle infranchissable devant le plus solide des véhicules. Les portières s'ouvrent et les enfants sautent les premiers. Les joues rougies par l'air glacial, certains découvrent la neige pour la première fois. Or, ils sont intenables. Les jeux d'hiver commencent au milieu du crépitement des flashes pour immortaliser le souvenir. Hormis, sa généreuse nature, Tala Guilef n'offre aujourd'hui aucun service. Tout est à l'arrêt ou à l'abandon. Les randonneurs sont sommés de ramener leur viatique avec eux pour se prémunir du froid. On peut même allumer le feu dans les parcelles où la neige ne s'est pas introduite, c'est-à-dire sous les arbres. Ainsi, contrairement à Tidkjda ou Yakouren où les hôtels Djurdjura et Tamgout ont rouvert sous la coupe de l'Egtc (Entreprise de gestion touristique du Centre), la réouverture de l'hôtel El-Arz et même de l'auberge pourtant propriété d'un particulier est renvoyée aux calendes grecques. A Boghni, on parle d'une prochaine reprise en main de toute la station par le groupe Khalifa. Ce qui ne semble pas déplaire à grand-monde, surtout que le groupe est réputé pour son managérat efficient et sa capacité à créer de l'emploi. En tout cas, tout cela reste au stade de la spéculation. En attendant, Tala Guilef, qui a exorcisé cette année ses démons, continue à attirer les amoureux de la nature en attendant des jours meilleurs, comme à son âge d'or lorsque des contingents de touristes étrangers se bousculaient au portillon de l'hôtel.