Une véritable course contre la montre s'est engagée entre les va-t-en guerre et les pacifistes du monde entier. La planète entière a bougé hier. Des dizaines de millions de personnes, affiliées ou non aux mouvements pacifistes dans le monde, ont bruyamment et massivement manifesté leur refus de la guerre que les Américains et les Britanniques projettent de mener en Irak avec ou sans couverture juridique de L'ONU. Décalage horaire oblige, les premiers rassemblements et autres marches et manifestations ont commencé d'abord en Extrême-Orient, en Asie et en Océanie, ou des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les principales mégapoles du continent (Tokyo, Séoul, Djakarta, New Delhi, Calcutta, etc.). Il est vrai que la veille déjà, Hong Kong et la grande métropole australienne, Melbourne, avaient donné le ton, en rassemblant chacune - comme aux plus forts moments de mobilisation et de manifestations contre la guerre du Vietnam dans les années 70 - plus de 100.000 personnes. Par la suite, les rassemblements devenaient plus nombreux et surtout plus imposants. Ainsi, des défilés de plusieurs kilomètres, selon des estimations de journalistes, ont rassemblé à Bagdad, la capitale irakienne que les va-t-en guerre projettent de rayer de la carte, pas moins d'un million de personnes en armes, c'est-à-dire prêts à se défendre en cas d'ouverture des hostilités militaires. Même mobilisation en Turquie, où 94 % de l'opinion sont défavorables à une action militaire contre son voisin l'Irak, la journée ayant été marquée par l'extinction des lumières dans l'ensemble du pays pour obéir au slogan «Une minute d'obscurité pour la paix». Dans le reste des pays arabes, des manifestations plus ou moins éparses ont été organisées pour apporter soutien et solidarité à l'Irak, à l'instar de celle du Caire, qui a réuni 600 personnes encadrées par 2000 policiers, de Amman, qui a réuni quelques milliers de personnes ou encore le sit-in du parti de Louiza Hanoune hier après-midi à Alger. Mais la mobilisation la plus importante des troupes du camp de la paix a eu pour théâtre les grands centres urbains européens et aux Etats-Unis même. De Paris (200.000 manifestants) à Berlin (600.000) en passant par Londres (entre 500.000 et un million), ou encore Rome (3 millions de personnes auraient participé à une marche pour la paix), Madrid et New York, les partisans de la paix et du règlement de la crise américano-irakienne par des moyens pacifiques et diplomatiques avaient largement acquis ces derniers jours à leur cause des millions de personnes. Surtout, que les risques d'une action militaire unilatérale sont plus que probables maintenant, après le camouflet reçu par l'Administration US, au lendemain de la remise au Conseil de sécurité de l'ONU, du rapport du chef des inspecteurs en désarmement de l'Irak, Hans Blix, qui n'a pas condamné explicitement Bagdad ou apporté des preuves renforçant les allégations de ses adversaires. De surcroît, le sentiment prévalant actuellement au sein de l'opinion publique occidentale majoritairement hostile à la guerre dans une proportion moyenne de plus de 60 %, aidant, ces pacifistes, qui semblent être à contre-courant des vues de leurs gouvernements respectifs - dont plusieurs avaient adopté des positions sans consulter leur opinion - ont curieusement regagné en quelques jours ce qu'ils avaient perdu en dix ans en termes d'ancrage et de mobilisation de la rue. En tout cas, en tout et pour tout, ce sont plus de 500 villes dans 75 pays qui ont connu ce genre de manifestations et de marches, rassemblant pour un même idéal, celui de la paix, plusieurs millions de personnes. Alors, ces clameurs pour la paix prendront-elles le pas sur les bruits de bottes? Les prochains jours apporteront la réponse.