Après le discours du Palais des nations d'hier, il ne fait plus de doute que la France veut «mettre le paquet» en Algérie. Rares ont été les journées où le Palais des nations a connu une telle effervescence, empreinte d'un certain climat de fête. Sans doute pas depuis la mémorable date de proclamation, devant les deux Chambres parlementaires en session extraordinaire, de la constitutionnalisation de tamazight en mars 2002. De gigantesques bouquets de fleurs ont été mis en place pour la circonstance. Près de 200 journalistes, algériens et français, étaient à pied d'oeuvre dès le petit matin. Une première nationale, des drapeaux algériens à la tribune officielle du Palais des nations ont cédé la place à des emblèmes tricolores français. Le tout, dans une salle archicomble où se côtoyaient ministres, sénateurs, députés, hauts commis de l'Etat et de nombreux responsables et ministres français. Le décor était planté. Il ne pouvait en résulter qu'un discours «historique» comme la visite qu'effectue Jacques Chirac en Algérie depuis dimanche. En entrant, l'épouse du président, Mme Bernadette Chirac, a été chaleureusement applaudie. Mais l'arrivée des deux chefs d'Etat, elle, a fait lever toute la salle, donné lieu à une ovation qui a duré plusieurs minutes. Visiblement, multipliant les petites courbettes de remerciement, le président Chirac a fait un long discours, retransmis en direct par la Télévision algérienne. Il n'en a pas moins tenu en haleine toute l'assemblée tant il était empreint de points forts et porteur des grandes lignes de ce que sera désormais, la relation entre les deux pays. L'orateur, en effet, annonce qu'au protocole de politique commune signé hier par les deux chefs d'Etat, viendra s'adjoindre incessamment un traité scellant définitivement cette nouvelle forme de coopération privilégiée. Non sans mettre en relief sa fierté de pouvoir exprimer la voix de la France à partir d'Alger, et d'un lieu hautement symbolique (à partir duquel avait été proclamée la naissance officielle de l'Etat palestinien), le Chirac français a mis en relief avec force détails l'ensemble des domaines dans lesquels la France est prête à s'investir et à apporter aide et assistance à notre pays. Outre la culture, l'histoire et certaines réformes incontournables, Jacques Chirac a surtout insisté sur l'investissement qui devra petit à petit supplanter les simples échanges commerciaux, aussi florissants soient-ils, mais aussi sur le soutien de la France et de l'UE à l'Algérie dans la lutte antiterroriste. La reconversion d'une partie de la dette algérienne, mais aussi les trois investissements français scellés dimanche sont une première preuve de la bonne volonté française, a précisé Chirac qui a promis que les hommes d'affaires français viendront en force dans notre pays avec le retour de la confiance et de la stabilité. Les grands chantiers, qui créent des tensions sociales en Algérie, tels que l'eau et le logement, font, eux aussi, partie d'une attention soutenue de la part de la France. Chirac, sur la lancée, promet également de plaider la cause algérienne auprès de l'ensemble des institutions financières internationales. La notion de «traité», qui n'existe qu'entre l'Allemagne et la France, et qui se profile entre cette dernière et notre pays, revêt ainsi toute son importance. La France, qui souhaite des «relations privilégiées» avec l'Algérie, risque de faire grincer pas mal de dents côté maghrébin, européen et même américain. Mais les points les plus forts, aux yeux des Algériens, auront été le salut déférent rendu à la bravoure et à la dignité des Algériens dans leur lutte solitaire contre le terrorisme pendant plus d'une dizaine d'années. «Contre la tentation du fanamisme et de l'extrétisme, l'ouverture politique, la réforme économique et la justice sociale offrent les meilleures réponses. Vous pouvez compter sur le plein soutien de la France et de l'Union européenne dans vos efforts en faveur des réformes.» Avant cela, le président Chirac a tenté de faire tomber tous les tabous en revenant en détail sur le passé colonial de son pays, avec ce discours de réconciliation, fait à quelques centaines de mètres de Sidi-Fredj d'où avait commencé le drame. Plaidant le pardon et la réconciliation, Jacques Chirac a martelé: «D'un côté comme de l'autre, sachons regarder ce passé (colonial) en face. Reconnaître ses blessures, sa dimension tragique. Accueillons ensemble les mémoires, toutes les mémoires. Respectons toutes les victimes de la Guerre d'Algérie, toutes celles et ceux qui ont combattu dans la sincérité de leurs engagements.» La réconciliation, qui emprunte parfois le chemin de la culture quand la diplomatie se trouve à court de mots, fera citer à Chirac deux grands noms de la littérature francophone, l'un Français Marcel Proust, et l'autre Algérien, Rachid Boudjedra. Sur le plan international et géostratégique, Chirac a réitéré l'engagement de la France pour «un désarmement pacifique de l'Irak», mais aussi pour «un règlement juste et pacifique» de la question proche-orientale. Revenant sur la nécessité de normaliser les relations entre l'Algérie et le Maroc, Chirac a plaidé pour une plus grande coopération entre les pays du Bassin méditerranéen avant de féliciter le Président Bouteflika pour ses grands efforts déployés en faveur du Nepad. C'est sous des acclamations vives et chaleureuses que les deux chefs d'Etat ont quitté le Palais des nations pour une nouvelle tournée à Alger avant la conférence de presse prévue en fin d'après-midi hier.