Les images aussi sont menteuses et rivalisent en manipulation psychologique avec les commentaires. Heureux celui qui peut dire si telle image montrée est bien celle de tel événement, si elle est constituée de montages-photos, ou si elle provient des archives. Il y a trois jours, une famille irakienne (femmes et enfants) a été massacrée par des soldats américains à un point de contrôle à la sortie de Najaf. Aucune chaîne de télévision, aucun journal n'avaient montré des images du massacre, car aucun photographe n'a été autorisé à filmer. Cependant, un tabloïd américain eut l'ingénieuse idée de coller à la Une, une photo d'Irakiennes en pleurs sous une manchette criant à la tragédie. Le journal fit des ventes appropriées et personne n'imagina que les images dataient...de la première guerre du Golfe. Voilà un exemple d'alliage entre l'information réelle et l'image de composition. Cela donne un scoop aussi vrai que nature. Cela ressemble aux images qui ont fait grincer les dents des responsables américains et qui montraient des Palestiniens se réjouissant des attaques contre New York, au lendemain du 11 septembre. Ces images accréditaient la thèse des Arabes pro-terroristes et ne laissaient que peu de manoeuvres à ceux qui les défendaient. Vérification faite, il s'agissait de photos datant de la guerre du Golfe et qui répercutaient la joie des jeunes Palestiniens après chaque tir de Scud lancé par Bagdad sur Israël. Depuis le début de la guerre contre l'Irak, on peut pronostiquer une victoire rapide des troupes américano-britanniques ou un échec certain, selon que l'on se pose en téléspectateur exclusif de telle ou telle chaîne de télévision, et il serait très intéressant d'observer les réactions des Américains regardant exclusivement la télévision d'Etat irakienne, et les Irakiens regardant la seule CNN branchée sur un «Special Gulf War II». Les images sollicitent les sentiments, et les sentiments créent des réactions, ces réactions, structurées, forment l'opinion de l'individu. C'est bien cette chaîne, qui va de l'image à la création de l'opinion, qu'on tente de capter et de gérer. Que faire? Douter. Systématiquement. Surtout en cas de guerre où la propagande bat son plein. Dans un petit bréviaire écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Lord Ponsonby, Anglais et opposant à la guerre, avait bien défini les principes fondateurs de la désinformation et de la propagande qu'il a nommés Les dix commandements. «Nous ne voulons pas la guerre, c'est l'ennemi qui la veut; le camp adverse est seul responsable de ce qui arrive; le chef du camp adverse est le diable ; nous défendons une noble cause; l'ennemi est responsable d'atrocités et nous de ‘'petites bavures''; l'ennemi utilise des armes non autorisées; l'ennemi subit plus de pertes que nous; les intellectuels et les artistes soutiennent notre cause, donc elle est juste; notre cause est sacrée; ceux qui la mettent en doute sont des traîtres.» Le procédé est donc simple et invariable, et si Orwell MacChesney ou Chomsky dénoncent la désinformation, ils ne nous aident pas à trouver l'issue de secours. Alors, peut-être nous faut-il résister, douter et tout (re)mettre en question. Quotidiennement. Jusqu'à nouvelle (re)prise de conscience des journalistes. Et qui ne sera pas pour demain.