ursaut d'orgueil ou de conscience, Kofi Annan aurait eu des débats houleux avec des responsables américains à la veille de la réunion du Conseil de sécurité. Depuis que la victoire est devenue inéluctable sur les troupes irakiennes, moins pourvues en armes et en soutiens politiques et logistiques, les Américains n'hésitent plus à afficher clairement leurs intentions et leurs prétentions, confirmant par-là même l'ensemble des analyses faites à la veille de cette guerre dans le but de l'expliquer. Les Américains, dans le silence feutré des couloirs diplomatiques, n'hésitent pas à parler de l'Irak comme s'il s'agissait d'une véritable proie. Déjà, pour les contrats de reconstruction de ce qu'ils ont détruit, les Européens ont été tenus à distance sous prétexte que ces marchés ne devaient revenir qu'à ceux qui ont perdu des hommes et de l'argent dans cette guerre. Mais le meilleur est à venir. Avec l'aide de quelques supplétifs irakiens vivant à l'étranger, les Américains, seuls contre tous, y compris les Britanniques, veulent mettre en place un gouverneur militaire. Pourquoi, en effet changer les bonnes vieilles recettes qui avaient si bien marché lors du siècle passé, commentent de nombreux observateurs dans des journaux des cinq continents de la planète. Toutes les colonies de ces temps que l'on pensait révolus étaient attribuées de plein droit à l'officier commandant les troupes envahissantes. Les Américains, uniquement mus par les affaires et l'odeur inégalable de l'or blanc, se mettent déjà à préparer l'opinion à une occupation appelée à durer, voire à s'éterniser, dans le temps. Pour les responsables du Centcom et du Pentagone, en effet, «les six mois de transition ne sont pas suffisants au passage vers la démocratie dans le pays». Les Américains, dont les visées dans toute la péninsule arabique ne sont un secret pour personne, ont déjà prouvé de quelle manière ils s'incrustent dès qu'ils arrivent à mettre un pied dans un de ces pays. C'est, notamment, le cas en Arabie Saoudite et au Koweït où les troupes américaines sont présentes depuis 91 alors qu'elles ne devaient y rester que le temps que s'achève la guerre du Golfe, première du nom. En Irak, les choses semblent être un peu plus compliquées. «Les Américains, selon l'ensemble des éléments d'informations distillées par des diplomates et des militaires se trouvant dans le secret des dieux, ont bel et bien l'intention de faire cavalier seul.» Ils veulent mettre en place un gouvernement étranger pour gérer une phase transitoire qui durera le temps qu'il faudra. Cela peut osciller entre les six mois initialement prescrits et quelques années comme cela est en train de se faire en toute discrétion en Afghanistan. Les Américains se comportent comme s'ils étaient les propriétaires de ce territoire. Leurs alliés, et peut-être même leurs adversaires, en ont parfaitement conscience. Les premiers en quémandant des postes dans le futur gouvernement comme vient de le faire l'Australie, les seconds en continuant à s'accrocher à ce fétu de paille qu'est devenue l'ONU. Ainsi, des batailles à couteaux tirés et non plus à fleurets mouchetés ont-elles lieu au niveau de l'ONU. La rencontre informelle qui a eu lieu hier en préparation de la réunion du Conseil de sécurité a été le théâtre, racontent des indiscrétions, d'échanges d'«amabilités» face à l'hégémonie de plus en plus affichée des Américains. L'essentiel, pour un temps encore, étant de sauver les apparences, le sommet Bush-Blair a particulièrement insisté sur le «rôle vital» que devra jouer l'ONU en Irak après la guerre. Vital, étant avant tout un mot dérivé de la locution «vie», il y a fort à parier que ce fameux rôle se borne aux aspects strictement humanitaires. Et encore...