Dans la bataille de Bagdad, les coalisés ont délibérément cherché à faire le plus de dégâts pour frapper les esprits.on active au conflit. Dans une ville peuplée de 5 millions d'habitants, les forces d'invasion américaines n'ont guère fait dans la dentelle, ou pris, à tout le moins, des précautions préventives. Quatre bombes JDAM (Joint direct attack munition) ont ainsi été larguées mardi sur le palais présidentiel irakien, creusant des cratères d'une vingtaine de mètres, selon les témoins sur place. Ces bombes, dont chacune pesait 960 kg, ont provoqué un véritable carnage parmi la population sans qu'il soit assuré d'avoir atteint l'objectif consistant à débusquer l'ennemi numéro 1 des Etats-Unis, Saddam Hussein, de sa tanière. Pas un seul instant les stratèges ayant décidé de cette attaque et celles qui l'ont précédée - qui peuvent facilement être assimilées à des crimes de guerre - n'ont songé à ce que, par euphémisme, on appelle «dommages collatéraux». Ces dommages collatéraux, ce sont les civils irakiens qui en payent le prix fort. Bien sûr, comme l'affirment les porte-parole du Centcom, au Qatar, et ceux du Pentagone, à Washington, les marines ne «visent que les cibles militaires». Du coup les civils - dont de nombreux enfants sont tombés ces derniers jours sous les bombes US - les hôpitaux ou les journalistes ne sont que des cibles militaires pour ceux qui ont décidé de «nettoyer» l'Irak, quitte à le faire d'une manière qui n'est pas loin de la barbarie. A ce niveau, les marines US semblent avoir bien assimilé les précédents israéliens, lorsque l'armée israélienne, pour éliminer un chef de la résistance palestinienne, n'hésite pas à commettre des massacres en utilisant hélicoptères de combat, chars et blindés contre les camps de réfugiés, ne tenant aucun compte des dégâts provoqués parmi les civils. Ainsi, pour éliminer Saddam Hussein, les forces américaines n'ont pas non plus hésité à user à plein régime de leur force écrasante contre Bagdad qui semble curieusement abandonné de ses défenseurs. Comme les Israéliens, les Américains, en Irak, professent d'un mépris sans égal envers le droit international, les conventions internationales en temps de guerre, que du simple bon sens qui interdit d'insulter l'avenir. Cette insulte de l'avenir, gratuite, voire délibérée, a été, entre autres, l'attaque contre le centre de presse, sis à l'hôtel Palestine, où étaient regroupés les envoyés spéciaux des médias internationaux. Après le largage des bombes sur le palais présidentiel, le président américain, George W.Bush, pouvait assurer, angélique: «Je ne sais pas si Saddam (Hussein) a survécu», affirmant aussi «Mais je sais qu'il est en train de perdre son pouvoir.» Certes! Cependant, ce que M.Bush ne dit pas, c'est que le déséquilibre des forces en présence ne pouvait mettre en doute le résultat final de cette équipée militaire américano-britannique. Face à une armée délabrée, sous-équipée, déphasée par rapport aux nouveaux gadgets de la technologie militaire (comme la Moab, bombe de 9,5 tonnes, réputée aussi destructrice qu'une petite bombe nucléaire) et aux nouvelles techniques de combat, c'est un miracle, voire une surprise que cette armée faite de bric et de broc, déjà décimée en 1991, ait pu tenir aussi longtemps devant la déferlante d'une armée formée pour tuer et détruire. Hier, les jeux semblaient consommés avec ce qui apparaissait comme la chute de Bagdad, la capitale étant livrée à des scènes de pillage qui indiquent, à tout le moins, la vacance de pouvoir. La victoire des envahisseurs de la coalition américano-britannique ne faisait aucun doute, la seule inconnue étant le temps que le régime de Saddam Hussein mettrait à se désagréger. Bagdad est tombé, mais le régime du Baas irakien est-il pour autant décapité? Malgré les scènes de pillage à Bagdad, rien toutefois n'indique une telle issue, d'autant que reste en suspens le mystère autour de Saddam Hussein. Est-il mort, comme le laissent entendre certains officiels américains, ou est-il entré dans la clandestinité pour organiser la résistance? Bagdad est tombé, a-t-il été annoncé, il reste que, hier, l'on se battait toujours en Irak, et rien n'augure que les choses se passeront comme le souhaitent les coalisés. La disproportion même des forces en présence, l'illégitimité et l'illégalité de la guerre contre l'Irak, auraient dû inciter les coalisés à plus de retenue. La démonstration de puissance contre une armée inexistante, et la guerre à un peuple sous embargo depuis douze ans, ne traduisent, en vérité, que le fait de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité contre une population désarmée. La victoire prévisible des coalisés, n'absout en rien les crimes commis contre le peuple irakien et, d'une manière ou d'une autre, Américains et Britanniques doivent bien répondre de ces crimes devant des tribunaux. En outre, en détruisant, lors de leurs campagnes guerrières, de grandes parties des villes de Basra, de Bagdad, de Kerbala, de Najaf, entre autres, les alliés américano-britanniques auront également commis des crimes contre l'Histoire et contre une civilisation multimillénaire.