Seul inconvénient : tous les événements auront lieu dans un huis clos quasi absolu. Beaucoup d'indices tendent à le confirmer. Il semble que les troupes alliées du président irakien, ainsi que la plupart des notables du régime se sont repliés à Tikrit, ville natale de Saddam, pour mener leur ultime bataille contre les troupes coalisées. L'idée que le régime de Bagdad ait négocié son départ avec les Américains, par l'entremise des Russes, ne résiste pas à une analyse plus poussée. Comment les Russes, en effet, pourraient-ils, matériellement parlant, prendre en charge au moins une centaine de dignitaires de ce régime? En agissant de la sorte, ne se rendent-ils pas complices de celui-ci à un moment où Moscou est menacée d'être épinglée par la commission des droits de l'Homme de l'ONU? En revanche, ces gens, dont les portraits trônent désormais dans un original jeu de cartes et dont les têtes viennent toutes d'être mises à prix par les Américains, auraient pu tous se réfugier à Tikrit. Cette ville, jadis déshéritée, est l'une des plus développées et des plus riches du pays. Elle serait la plus grande perdante de la chute du régime de Saddam Hussein. Ce n'est pas non plus un hasard si la plupart des membres des troupes d'élite sont natifs de cette région. Saddam sait donc, estiment de nom-breux observateurs, qu'il ne sera nulle part mieux défendu et entouré que dans cette ville. Cette thèse expliquerait également pourquoi les troupes irakiennes ont régulièrement cédé le terrain, évitant scrupuleusement le combat, au nord de l'Irak. Ces sections ou brigades n'ont pu trouver refuge qu'à Tikrit, située à quelque 150 km de la capitale irakienne. La tombée de Bagdad sans même un «baroud d'honneur» signifierait aussi la même chose. Les quelques troupes d'élite encore opérationnelles auraient trouvé refuge dans cette ville en même temps que l'ensemble des dignitaires du régime, quelques heures ou quelques jours avant que la capitale irakienne ne soit livrée aux troupes américaines. Les analystes, de plus en plus nombreux à supposer cela, ajoutent que Tikrit présente une géographie qui en fait une citadelle naturelle, en plus de ses nombreuses fortifications. Des témoignages recueillis par Al-Jazira indiquent que des fortifications nouvelles ont été mises en place tout autour de la place plusieurs mois avant le début de l'invasion. Cette ville, selon les rares informations qui sont distillées, subit des bombardements intensifs depuis de nombreux jours. Mais il demeure impossible de situer l'ampleur des dégâts causés aussi bien aux troupes stationnées sur place qu'aux diverses infrastructures locales. Les troupes coalisées, au même titre que le régime de Saddam, savent toutefois que la guerre est définitivement finie et que cette bataille, si d'aventure elle venait à avoir lieu, constituerait juste un baroud d'honneur. C'est pourquoi, à la suite du retrait, vendredi, d'une partie de l'aviation britannique, le porte-avions «Abraham Lincoln» a quitté, hier, la région du Golfe avec son groupe naval. Il pourrait être suivi, dans les prochains jours, du «Kitty Hawk». Les Américains, désormais loin des regards «indiscrets» de la presse, pourraient se servir des premiers prototypes de la fameuse «mère des bombes», premières armes «conventionnelles» égalant en puissance des petits engins nucléaires. Même le Commandement central, le Centcom, demeure discret sur cette question. Dans son point de presse quotidien, son porte-parole a juste signalé que «la campagne aérienne se poursuit au nord de Bagdad», c'est-à-dire à Tikrit. Le général Brooks a ajouté que «Tikrit, fief de Saddam, est l'un des secteurs où nous pensons que peuvent se trouver des forces du régime (...) Nous savons que des responsables du régime ont combattu dans et autour du secteur de Tikrit, où il y a encore des équipements militaires». Saddam, qui se sait fini, serait peut-être en train de se ménager une sortie à la mesure de sa puissance passée en livrant son dernier combat dans la ville natale du redoutable stratège Salah-Eddine El-Ayoubi.