Riyad a accueilli, hier, les pays frontaliers de l'Irak auxquels se sont joints l'Egypte et Bahreïn. A l'initiative de l'Arabie Saoudite, une réunion informelle a rassemblée, hier, à Riyad, les chefs de la diplomatie des six pays voisins de l'Irak, (Arabie Saoudite, Jordanie, Koweït, Iran, Syrie et Turquie), discussions auxquelles se sont joints l'Egypte et Bahreïn, ce dernier en tant que président en exercice de la Ligue arabe. C'est une évidence que de dire que les voisins de l'Irak étaient à tout le moins inquiets des suites que les vainqueurs américains comptent donner à leur victoire arrachée sans lutte véritable à un adversaire qui s'est révélé être un tigre en papier. Selon les déclarations, des uns et des autres, il apparaît nettement que les ministres des Affaires étrangères des pays en question, malgré les assurances américaines, ne semblent point rassurés sur ce que compte entreprendre Washington pour le devenir de l'Irak. Aussi, des mises en garde comme celles du chef de la diplomatie égyptienne, Ahmed Maher, qui réitère qu'il appartient aux Irakiens de diriger leur pays ne sont, tout au plus, qu'une clause de style qui n'engage en rien, d'autant que, n'étant pas dans les secrets des décideurs américains, les voisins de l'Irak tentent surtout d'avoir, ou de sauvegarder, un rôle régional dans l'après-guerre en Irak. En vérité, divisés, sans perspectives claires sur leur devenir, les pays arabes essaient de colmater ce qui peut encore l'être, tout en voulant donner l'impression qu'ils ont encore un droit de regard sur ce qui se décide pour le monde arabe. Certes, les problèmes que rencontrent les pays arabes ne sont sans doute pas ceux de la Turquie et de l'Iran, mais ces deux pays - de même que la Syrie - sont directement concernés par la question kurde et la manière avec laquelle les Etats-Unis comptent la solutionner. Si Ankara et Téhéran insistent sur l'intégrité territoriale de l'Irak, il faut bien comprendre que, la Turquie et l'Iran sont d'abord inquiets du sort de leurs propres territoires kurdes et de l'impact qu'aura un démembrement de l'Irak sur les Kurdes turcs et iraniens - voire syriens - dans l'éventualité de la création d'un Etat kurde au nord de l'Irak. Il ne fait pas de doute dès lors, que les Turcs, par leur chef de la diplomatie, Abdallah Gul, et les Iraniens, par leur ministre des Affaires étrangères, Kamal Kherazi, poseront le problème de la minorité kurde et de la nouvelle donne créée par l'alliance des Kurdes irakiens avec la coalition américano-britannique qui fit tomber le président Saddam Hussein. Aussi, le spectre d'un Kurdistan, ressuscité par la défaite du régime de Bagdad, incitera-t-il Ankara, notamment, à insister tant auprès de ses voisins - tout comme elle l'a fait auprès des Américains - sur la préservation de l'intégrité territoriale de l'Irak. En fait, les pays, qui se sont donné rendez-vous à Riyad, se trouvent présentement sur la défensive et essaient d'unir leur rang face à une situation qui les dépasse et les marginalise de fait, d'autant que les menaces, de plus en plus précises contre la Syrie, indiquent que les desseins de Washington vont au-delà de la seule «normalisation» de l'Irak. L'un des aspects récurrents qui interpellent, en fait, les voisins de l'Irak, est bien la mise en place d'un gouvernement intérimaire irakien à même de prendre en charge la suite des événements et de veiller à la sauvegarde des intérêts de Bagdad dans l'après-Saddam Hussein. Aussi, les pays réunis à Riyad insistent-ils sur le fait qu'un tel gouvernement doit être constitué des seuls Irakiens, auxquels il appartient de relever et de décider de l'avenir de leur pays. Cependant, la Maison-Blanche, qui agit d'ores et déjà en pays conquis et comme administrateur de fait de l'Irak, a déjà nommé un gouverneur militaire, le général à la retraite, Jay Garner, et peaufine l'administration militaire qu'elle compte mettre en place à Bagdad, n'entend pas se laisser détourner de ses objectifs, comme l'atteste l'attribution d'importants contrats à des entreprises américaines, dont le groupe américain Bechtel, spécialisé dans le secteur du bâtiment. M.Maher, le mini- stre égyptien des Affaires étrangères, a beau affirmer que son pays «rejette le gouvernement militaire américain» en Irak, il semble bien que l'Egypte - et autres pays arabes et voisins de l'Irak - dont les condamnations du recours à la guerre n'ont eu aucun effet sur la détermination des Etats-Unis d'envahir l'Irak et de changer le régime de Bagdad, montre surtout son impuissance à agir sur les événements et à avoir un droit de regard sur les affaires qui impliquent leur région. Il ne fait pas de doute que la déclaration -que la réunion de Riyad devait rendre publique dans la soirée d'hier comme l'indiquent des sources proches des organisateurs saoudiens- se réduira à s'élever contre les menaces contre la Syrie, et à réaffirmer la primauté des Nations unies dans la reconstruction de l'Irak. Toutes ces choses n'allant pas autant de soi qu'on puisse le penser ou le souhaiter, tant la réunion de Riyad comptait également traiter les aspects de la «coopération» avec...le gouvernement militaire américain à Bagdad. En fait, les pays arabes et musulmans, voisins de l'Irak, montrent par là que leur impuissance, face à l'impérialisme américain, n'exclut pas pour autant le réalisme par la prise en compte de la future administration de l'Irak par les Etats-Unis.