Aucun dossier de délégué n'a vu son instruction s'achever. Pour cette deuxième année du Printemps noir, la revendication de la libération des détenus est devenue la seconde préoccupation pour les délégués des ârchs après celle relative à la satisfaction des revendications de la plate-forme d'El-Kseur. Par la force des choses, cette revendication est brandie par les ârchs à la moindre action et déclaration. Dès les premières incarcérations, le terme d'«otage» est évoqué pour qualifier les contingents de délégués et manifestants qui rejoignent les prisons de Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, La revendication de leur «libération immédiate et inconditionnelle» a occupé une place importante chez les ârchs qui sont arrivés à en faire une priorité de l'heure. Il ne se passe pas une semaine sans qu'une action (marche, sit-in), soit initiée, en faveur des détenus qui, faut-il le souligner, ont constitué l'élément mobilisateur de l'année eu égard au sentiment de solidarité qu'ils constituent chez la population. En procédant aux incarcérations, le pouvoir croyait, dans sa stratégie venir à bout de la contestation. Mais force est de constater que la détention a, au contraire, permis au mouvement de survivre allant jusqu'à faire sortir de leur réserve certaines parties restées à l'écart. L'incertitude quasi totale et le traitement au ralenti des dossiers avaient davantage exacerbé la tension chez cette frange du mouvement citoyen qui commençait à passer à la vitesse supérieure pour faire valoir ses droits. Le 27 avril les délégués incarcérés à Bouira, Béjaïa et Tizi Ouzou entament simultanément un mouvement de grève de la faim qui n'a pas manqué de susciter une grande mobilisation et une solidarité à travers toutes les couches de la société. Imperturbable, le pouvoir ne cède en rien. Il aura fallu des contacts en haut lieu pour voir enfin le premier contingent bénéficier de la liberté provisoire. Mais les prisons de Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou ne restèrent pas longtemps vides. Elles reçurent le 2e contingent dès le 5 octobre 2002, soit la veille du scrutin des locales, contesté. La situation s'en est allée en se compliquant de plus en plus. Sur fond de rumeurs qui interviennent à chaque moment, historique ou religieux du pays quant à la libération de ces détenus qui serait rendue possible par la grâce présidentielle, la justice n'a pu liquider que les dossiers des manifestants pris en flagrant délit. Aucun dossier de délégués n'a vu son instruction s'achever. Comme pour les premiers détenus, des parents sont gagnés par un désarroi total. L'on se rappelle la lettre adressée par les familles de Sidi Aïch pour le Président de la République pour lui demander d'intervenir sur le cas de leurs enfants. La pression était telle que les détenus de Béjaïa ont failli céder à la tentation de renouer le dialogue. C'était ce que cherchait réellement le pouvoir, à travers ces détentions. La période post-électorale aura été la plus rude dans l'histoire du mouvement citoyen qui, outre la démobilisation qui n'a pas cessé de s'accentuer, continue à lutter pour sa survie. Une survie devenue nécessaire tant que les camarades sont toujours en prison. Mais la répression de toutes les actions initiées en faveur des détenus a poussé ces derniers à recourir à la grève de la faim qui durera, cette fois près de 42 jours. Belaïd Abrika et ses camarades sont allés si loin sans pouvoir faire fléchir le pouvoir. Ils l'ont fait à sa place en bouclant leur 6e mois en prison. Ils sont encore au nombre de 57 à attendre que leur sort soit fixé. Un sort qu'ils n'ont jamais voulu, mais qu'ils ont certainement envisagé dans un combat aussi noble. A la veille de ce 2e anniversaire du Printemps noir, l'espoir de les voir libérés est relancé à la suite de l'éventualité d'une rencontre ârchs-pouvoir évoquée dans les médias. Cet espoir a vite laissé place à l'interminable attente pesante au lendemain de la visite du ministre de l'Intérieur à Béjaïa où il a déclaré devant les élus «les détenus seront jugés en toute équité». Il reste l'espoir d'une forte mobilisation à l'occasion de ce 2e anniversaire qui pourra, peut-être, presser les autorités à user de l'apaisement à la veille de la présidentielle de 2004.