La ville de Béjaïa, à l'instar des autres localités de la wilaya, a baissé rideau. Venus des villes et villages de la Basse Kabylie, en bus, en camions ou à pied, des milliers de jeunes et moins jeunes rejoignaient, dès les premières heures de la journée d'hier, le carrefour des Quatre-Chemins, point de départ de la marche, initiée par la Cicb pour célébrer le double anniversaire du Printemps amazigh et du Printemps noir. La ville de Béjaïa, à l'instar des autres localités de la wilaya, a baissé rideau. Les cafés, les commerces et les administrations publiques ont été désertés par leurs employés. Même les localités habituellement hostiles aux manifestations ont respecté le mot d'ordre de grève générale, comme cela est de coutume depuis maintenant plusieurs années, à l'occasion de la célébration du 20 Avril 80. Alors que les villes de la Soummam donnaient l'impression de se vider, celle de Béjaïa grouillait de monde. Banderoles à la main, vêtus de couleurs vert et jaune et portant des brassards noirs, en signe de deuil, des groupes de jeunes sillonnaient les ruelles de Béjaïa en attendant le coup d'envoi de la marche du jour. Dès lors, la ville de Hammadites allait vivre un moment intense de son histoire. Elle retrouve, un an après, jour pour jour, l'ambiance de manifestations après une longue interdiction. Cité interdite, Béjaïa donnait l'impression d'être «libérée». Vers 11h, la marche s'ébranle. Les carrés formés semblaient organisés et structurés, le cordon de sécurité veillait aux moindres gestes et contrôlait tous les déplacements. Au fur et à mesure, les esprits s'échauffent. A hauteur de la place El-Qods, un groupe se détache et se montre déterminé à passer à l'acte. «Ils veulent saccager la radio Soummam», lançait un confrère qui arrivait vers nous. Sur le champ, une décision de dévier le parcours fut prise par les délégués de la Cicb, qui orientent le premier carré vers la maison d'arrêt où une halte a été observée pour communier avec les détenus dont les noms sont alors scandés au même titre que l'exigence de leur libération. A quelques dizaines de mètres du siège de la Gendarmerie nationale, la tension monte d'un cran. Les organisateurs, de plus en plus dépassés, ont eu tout le mal du monde à éviter le pire. C'est à partir de ce moment que les choses allaient se gâter. La foule de jeunes en colère devenait difficilement maîtrisable et s'en prenait à tout ce qu'elle trouvait sur son passage. Ali Gherbi quittera la marche avant même son terme. Le reste du parcours s'est déroulé dans une anarchie totale, qui n'honore pas les ârchs et conforte ainsi la position des pouvoirs publics qui trouvent la justification à tous les interdits de l'an dernier. La foule s'est finalement dispersée au stade de l'Opow sans assister au meeting qui y était prévu. Les organisateurs ont préféré l'annuler. Notons, par ailleurs, que le FFS a, aussi, initié une marche à Tazmalt dans la même journée pour soulever les revendications liées à la libération des détenus, l'officialisation de tamazight et le jugement des assassins de Matoub. Ainsi, la grandiose marche voulue par les ârchs ne fut que petite et confirme qu'au sein des ârchs, on ne veut pas évoluer, quand bien même les autorités seraient tolérantes.