Nous vivons un monde impitoyable. Il devient même dangereux d´exister. Les relations entre les individus se détériorent de plus en plus et chaque jour qui passe voit les antagonismes s´exacerber. Le dur métier de vivre devient chaque jour plus difficile à exercer. Il faut dire que les problèmes sont multiples. D´abord, il y a le chômage qui frappe une écrasante majorité de la jeunesse, qui est contrainte, après avoir frappé à toutes les portes vainement, après s´être heurtée à tous les murs, tenté tous les moyens d´évasion à sa portée, se réfugie dans les solutions extrêmes où la confinent les colères trop longtemps contenues. Il y a aussi le problème de la surpopulation des logements: les familles s´agrandissent et les murs refusent de suivre le mouvement. Alors, l´ambiance est électrique, le cercle de famille n´est plus ce qu´il était, une simple étincelle suffit pour provoquer la catastrophe. D´ailleurs, même dans l´immeuble, les relations entre les locataires se tendent chaque jour un peu plus. Cela a pourtant bien commencé quand il s´est agi d´installer une parabole collective: tout le monde a mis la main à la poche. Pour gérer les espaces verts aussi, presque tout le monde y a mis du sien. Mais quand certains ont commencé à squatter les caves, alors rien n´allait plus. Les marteaux ont commencé à voler après les injures: même la justice est sollicitée pour délimiter le tien du mien. Les nuisances sonores ont alors commencé à prendre le dessus. Certains commencent à bricoler après onze heures du soir. La perceuse et le marteau sont les principaux instruments de musique utilisés dans la cacophonie générale qui s´est installée dans l´immeuble. Alors ont commencé les réparations à répétition: on remplace les carreaux de plâtre vermoulus par l´humidité par des briques et le gerflex ou le carrelage de troisième choix par la dalle de sol. Alors c´est une pluie de gravats, de ciment et de plâtre qui envahit l´immeuble. Les gravats sont jetés par la fenêtre: c´est plus rapide ou par les vides sanitaires: pas vu, pas pris. Le sommeil devient une chose rare. Le caractère s´aigrit et le dialogue n´existe plus entre les colocataires qui ne paient la femme de ménage qu´individuellement. La pauvre femme doit frapper à chaque porte et quelquefois à plusieurs reprises pour avoir son dû. Alors pour l´ascenseur c´est un autre problème insoluble... A côté de tous ces problèmes viennent se greffer ceux liés à la corruption qui gangrène le système : la demande de transfert de la ligne téléphonique qui n´arrive pas après une année, le dossier de logement qui roupille quelque part. Enfin, tous les ingrédients pour une explosion de la violence sont là. On s´étonne alors lorsqu´un individu assomme, égorge, étripe quelqu´un qui est venu juste ajouter la goutte superflue: «Celle qui fait déborder le récipient de la patience».