«J´écris dans l´espoir (déri-soire) de laisser une trace, une ombre, une griffure sur un sable mouvant, dans la poussière qui vole, dans le Sahara qui remonte.» Ainsi écrivait en 1985 Assia Djebar, Algérienne qui vit le jour à Cherchell en 1936 et qui édita son premier roman La Soif en 1957, en pleine guerre de Libération. Aujourd´hui, les dépêches rapportent qu´elle est nominée pour le prix Nobel de littérature 2004, en compagnie de deux autres femmes écrivains, l´Américaine Joyce Carol Oates et la Danoise Inger Christensen. Pour nous, même si elle ne reçoit pas le prestigieux prix, nous pouvons considérer qu´elle le mérite grandement, et qu´il suffit qu´elle soit nominée. Pourquoi? D´abord parce que son oeuvre romanesque est très riche. On citera quelques-uns de ses romans au passage: Les enfants du nouveau monde (1962), Les Alouettes naïves (1967), L´Amour la fantasia (1985) et puis Loin de Médine (1991). Son écriture s´est bonifiée au fil du temps. Celle qui avait été surnommée la Françoise Sagan algérienne a su évoluer aussi bien dans son style que dans sa thématique, au gré de son inspiration, s´intéressant même à d´autres formes artistiques comme le théâtre ou le cinéma. Au mois de mars passé, elle fut honorée par le président italien Carlo Ciampi, à l´occasion de la dixième édition de Dedica, dans la région de Frioul «pour son itinéraire, son combat pour la libre expression de la femme musulmane et contre le fanatisme religieux, pour son sens littéraire et son rôle intellectuel dans la société civile». Auparavant, elle fut lauréate de plusieurs autres prix aussi bien en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, qu´en Italie. Par ailleurs, elle a été élue en 1999 à l´académie royale de Belgique. Ensuite, parce que c´est une Algérienne. A ce titre, sa consécration viendrait consoler à titre posthume la déception éprouvée par un autre écrivain algérien, Mohamed Dib pour ne pas le nommer, et prouverait au monde que l´Algérie, malgré ses problèmes conjoncturels, reste la terre des créateurs et des poètes. Enfin, et là il faut insister, elle mérite le prix Nobel en tant que femme, au moment où en Algérie on discute des amendements à introduire au code de la famille, qui réduit la femme algérienne au rang de mineure à vie. C´est un fait qu´Assia Djebar ne s´implique pas beaucoup dans la vie politique et associative algérienne, mais c´est parce qu´il n´est pas toujours facile pour un créateur, surtout en Algérie où les jeux sont biaisés et les dés pipés, de faire valoir ses idées. C´est un pays où il n´est pas facile de vivre de sa plume et où les écrivains malheureusement sont peu de chose. Alors quand des créateurs de talent, comme elle, arrivent à être reconnus à l´échelle internationale, à être traduits dans plus de quinze langues, les luttes de clans telles qu´on les connaît chez nous peuvent non seulement être étouffantes voire stérilisantes, mais aussi détourner l´écrivain de la noblesse de son combat. Il n´en reste pas moins que la nomination d´Assia Djebar fait d´elle une voix majeure, apportant la preuve que l´Algérienne mérite mieux que le statut de misère que certains députés mal inspirés lui ont taillé une certaine journée de 1984. Quand on a comme Assia Djebar écrit des livres comme Loin de Médine ou Femmes d´Alger dans leur appartement, ou tourné un long-métrage comme Nouba des femmes du Mont Chenoua, on a la preuve vivante que l´Algérienne a son mot à dire pour gérer sa vie.