Au lendemain des émeutes du 5 octobre 1988, Kasdi Merbah, qui fut désigné au poste de Premier ministre par Chadli Bendjedid, avait déclaré: «C'est la rumeur qui m'a nommé Premier ministre.» La rumeur, quelle rumeur? Ce que ne disait pas Kasdi Merbah, c'est qu'en l'absence de démocratie et de liberté d'expression, c'est-à-dire en l'absence de transparence, c'est la Sécurité militaire qui préparait les conditions de la nomination des responsables à quelque niveau que ce soit, y compris sous forme de rumeurs savamment distillées. Du reste, dix ans auparavant, au 4e congrès du FLN en 1979, c'est la toute-puissante sécurité militaire, drivée par le non moins puissant Kasdi Merbah, qui verrouilla les assises et permit à Chadli Bendjedid de s'imposer en tant que successeur de Boumediene. Et pourtant, le clash ne tarda pas à se produire entre les deux hommes. Chadli voulut remercier Kasdi. Ce dernier, s'accrochant à la toute fraîche Constitution de 1989, répondit aussi sec que son programme avait été adopté par l'Assemblée nationale (c'était en effet une nouveauté) et déclara devant un parterre de journalistes médusés: «H'na imout Kaci.» Et c'est à son successeur Mouloud Hamrouche qu'échut en tant que Chef du gouvernement la mission de conduire la politique des réformes. Si dans le domaine économique, ses réformes furent assez timides et sont restées marquées par un flou artistique sciemment entretenu, en s'appuyant sur une politique monétariste qui fit du dinar une monnaie de singe, Hamrouche et son équipe de réformateurs n'hésitèrent pas à conscarer le multipartisme et la liberté de presse, mais le laxisme constaté dans la sphère politique, en consacrant la montée irrésistible du FIS, - qui gagna les élections municipales du 12 juin 1990 - a conduit le pays dans l'impasse des manifestations de rue en 1991. Hamrouche fut remplacé au pied levé par Sid-Ahmed Ghozali, qui tout auréolé de son ancienne fonction à la tête de Sonatrach, introduit un nouveau style de gouvernement. Avec son smoking, son noeud papillon et sa tête d'étudiant attardé, Ghozali lança quelques chantiers comme celui du filet social et la vente de «25 % de Hassi Messaoud». Mais il eut surtout pour tâche délicate d'organiser les «élections propres et honnêtes» de décembre 1991, qui ne le furent pas du tout, de négocier la démission de Chadli, la mise sur pied du Haut Comité d'Etat, et l'arrivée de Boudiaf. Mais l'assassinat de ce dernier en direct à la télé mit fin à ses fonctions et sans doute aussi à sa carrière. Paradoxalement, c'est un autre pétrolier, Belaïd Abdesselam, l'homme de l'industrie industrialisante, qui remit en cause les programmes de réformes, ressortit de derrière les fagots une sorte de nationalisme éculé et voulut imposer une économie de guerre, dans un pays où les travailleurs avaient déjà trop serré la ceinture. Ave el programme d'austérité, il ne pouvait pas faire long feu et en effet c'est un autre historique, à savoir Réda Malek, qui le remplaça à la chefferie du gouvernement. Le terrorisme battait son plein. La dette extérieure s'accumulait. Reda Malek déclara à propos du premier «la peur doit changer de camp» et fut celui qui signa les accords de rééchelonnement avec le FMI, ce qui permit au pays de respirer quelque peu. Et pourtant, Si Reda Malek ne fut pas payé de retour, et on lui demanda de rendre son tablier et de passer le relais à Mokdad Sifi. Des tâches monumentales attendaient ce dernier. On lui demandait surtout de gérer la transition, sous la direction du président d'Etat Liamine Zeroual et de préparer les conditions du retour au processus électoral. Mais tout cela se passait sur fond de terrorisme aveugle et de crise larvée en Kabylie, marquée par une grève du cartable, qui traînait en longueur, et par l'enlèvement de Matoub Lounès. Malgré les efforts de Mokdad Sifi, personne ne garde de bons souvenirs de cette période. Il y a des moments où les événements bousculent les hommes. Quand Ahmed Ouyahia prit les rênes, le pays avait pratiquement atteint le fond du gouffre et l'homme eut la tâche délicate d'accomplir les sales besognes. Il n' y avait plus un rond dans la caisse pour payer les travailleurs et Ahmed Ouyahia osa ce que personne n'avait osé avant lui : ponctionner les salaires. Mais c'est surtout durant sa période que la presse écrite, soumise au marteau intégriste et à l'enclume de la répression étatique, a eu le plus à souffrir. L'homme a été celui qui a le plus duré à la tête du gouvernement, mais soupçonné de partialité, il dut céder la place à Smaïl Hamdani, qui organisa l'élection présidentielle de 1999. Et sans doute le Président Bouteflika restera celui qui aura usé le plus de Premiers ministres: Hamdani, Benbitour, Benflis et maintenant Ahmed Ouyahia bis.