Dans le dictionnaire du cinéma confectionné par M.Roger Boussinot au début des années 80, j´ai été surprise d´y trouver un article défavorable à Louis Daquin dont j´avais vu l´excellent film Le point du jour. J´ai été encore plus surprise, hier, quand après avoir vu sur France 3 un film consacré à René Vautier, j´ai cherché à combler mes lacunes en consultant le fameux dictionnaire: peine perdue, René Vautier n´existait pas. La cause? René Vautier et Louis Daquin (dont j´ai lu l´excellent livre On ne tait pas les silences), ont ceci de commun: ils sont tous les deux communistes et ont tous les deux été, à un moment donné, à la tête de syndicats du cinéma français. Donc, on peut comprendre l´ostracisme de M.Boussinot. Mais René Vautier n´a pas souffert que des positions idéologiques de M. Boussinot. Il a été longtemps occulté par la télévision française : aucun de ses films n´a été diffusé par aucune chaîne. C´est le cinéaste à éviter! Et pourtant, il avait bien commencé. Engagé dans la Résistance française dès l´âge de quinze ans, il fut le plus jeune décoré de cette résistance à l´âge de 17 ans. Dès 1950, il fut chargé par la Ligue de l´enseignement de faire un documentaire sur l´action civilisatrice de la France en Afrique occidentale française. Ce qu´il a vu en Côte d´Ivoire et au Niger le révolta. Il filma toutes les scènes qui pouvaient heurter une conscience humaine. Sa pellicule fut saisie et il fut condamné par un tribunal de Côte d´Ivoire d´après un texte de Laval (ministre collabo fusillé par la résistance). Avec le peu de pellicule qu´il récupéra, il fit un violent pamphlet contre le colonialisme français et contre les sociétés et entreprises qui florissaient sur les massacres et l´exploitation des Africains. Ce fut Afrique 50. En 1955, il alla en Tunisie et se mit au service de l´ALN pour filmer le combat des résistants algériens. Ce fut Abane Ramdane qui l´engagea pour être le témoin privilégié de la vie quotidienne des maquisards algériens. René Vautier confia à Henri Alleg que Abane Ramdane lui conseilla d´être très discret sur ses convictions politiques. Il filma les premières scènes de guérilla dans le maquis et réalisa L´Algérie en flammes. A l´indépendance, il continua à se mettre au service de ce pays qu´il avait adopté en réalisant un film sur les premières années de l´indépendance (Un peuple en marche). Le coup d´Etat du 19 juin 1965 le trouva à Tunis où il aidait Ahmed Rachedi au montage de l´Aube des Damnés dont le commentaire a été écrit par Mouloud Mammeri. En 1965, il participa avec Ahmed Hocine à la fondation de la cinémathèque Algérie. Il ne faut pas oublier que dès 1963, il mit sur pied l´association des ciné-pops, cinémas itinérants qui allaient vulgariser les chefs-d´oeuvre du cinéma mondial. En 1966, il rentre en France où il participera à la lutte de la classe ouvrière en réalisant des documentaires sur les divers mouvements sociaux. En 1972, il réalise Avoir vingt ans dans les Aurès sur la guerre d´Algérie. Ce film sera distribué uniquement dans les ciné-clubs. En 1974, il s´attaque à la condition des ouvriers français dans Quand les femmes ont pris la colère ou à la désertification de la Bretagne, sa terre natale dans Quand tu disais, Valery. Il monte au créneau lors du naufrage de l´Amoco-Cadiz et dénonce la politique de Giscard d´Estaing dans Marée noire et colère rouge. Dans les années 80 il revient en Algérie pour réaliser à la télévision algérienne Le cinéma des premiers pas où il raconte son expérience algérienne. A la caméra, il va bientôt substituer la plume pour écrire Caméra pour la paix où il explique toujours avec son sens pédagogique qu´on «n´écrit pas l´Histoire que d´un seul côté». C´est un personnage vieilli, mais qui n´a pas perdu de son impertinence, qui déclare qu´il faut toujours «faire bouger les choses», faire sortir la société de «l´ornière où ceux qui en profitent tentent de la maintenir».