René Vautier répétait souvent à qui veut l´entendre: «Je suis un chaoui de Bretagne». Outre l´esprit rebelle commun aux natifs de ces deux régions si éloignées, il y a lieu de rappeler l´extrême pauvreté de leurs habitants. Mais, voilà, la Bretagne a un avantage: elle est située aux confins de l´Europe et jouit d´une façade maritime très vaste sur l´Atlantique et sur La Manche. Au XVIIIe siècle, confrontée à une crise économique sans précédent, les habitants de cette région au littoral escarpé où les récifs sont nombreux, se sont convertis dans une industrie des plus rentables. Des récits littéraires et des films ont conté les exploits macabres de ces riverains qui exploitent la détresse des autres, détresse qu´ils ont eux-mêmes provoquée d´ailleurs. Ces sinistres mi-hyènes mi-hommes ont reçu le vocable non moins sinistre de naufrageurs. Le système était simple. Les jours de mauvais temps (ils sont nombreux sous cette latitude et dans cette région exposée à tous les vents), les navires qui empruntent La Manche longent la côte à la recherche d´un refuge. Les naufrageurs allument de grands feux de bois sur les promontoires qui surplombent les récifs. Prenant ces lumières noyées dans la brume pour des phares, les navires se précipitent sur les récifs où ils se brisent en mille morceaux. Les naufrageurs, à l´affût, n´ont qu´à se précipiter pour achever les survivants, devenus des témoins gênants et récupérer la cargaison de l´épave. Une soudaine prospérité s´abat alors sur les populations de la région concernée par ce naufrage. Cette prospérité a laissé tellement de traces qu´un département français de Normandie, porte le nom d´un de ces riches navires naufragés : le Calvados porte le nom du navire espagnol richement chargé qui a inondé de ses bienfaits les riverains. Il s´agit du Calvador (le tireur au but). Sur les côtes barbaresques jadis infestées de corsaires audacieux et d´impitoyables pirates, vit une nouvelle race de naufrageurs en col blanc. Ce sont ceux qui ont créé à l´issue de la prise du pouvoir par la force la notion de postes politiques. Cette notion consiste à mettre à la tête des entreprises publiques des responsables plus connus pour la souplesse de leur échine que par leurs compétences, et qui s´en sortent toujours malgré les échecs et les scandales qui émaillent leur peu reluisante carrière, telles des salamandres qui supportent l´eau et le feu. Les naufrageurs, ce sont ceux qui ont livré l´école à la formation de terroristes avec des cours du soir dispensés par une télévision aux ordres. Les naufrageurs, ce sont ceux qui ont restructuré ces entreprises pour y placer leurs amis et leurs coursiers. Les naufrageurs, ce sont ceux qui ont livré une population sans défense à une horde de barbares. Les naufrageurs, ce sont ceux qui ont mis sur la paille des centaines de milliers de travailleurs avec la complicité d´un syndicat moribond et qui, d´une manière indécente, «saluent les travailleurs...». Les naufrageurs, ce sont ceux qui maintiennent la liberté d´expression en liberté provisoire et laissent courir les receleurs et les trafiquants en tous genres... Les naufrageurs, ce sont ceux qui se gargarisent d´une cagnotte de quarante milliards et qui laissent des marins désarmés devant la fureur des éléments déchaînés. Les naufrageurs ne changent pas de métier, puisque ça rapporte si bien la détresse des autres.