«Annexe»! Voilà un mot appelé à faire fortune parmi les confrères. L´emploi du terme par le chef de la diplomatie algérienne, Abdelaziz Belkhadem, à propos du monopole qu´exerce l´Egypte sur la Ligue arabe depuis la création de cette dernière le 22 mars 1945, (à l´exception de l´intermède tunisien 1979-1989 -après l´exclusion de l´Egypte suite aux accords de Camp David-), exprime bien la pensée de son auteur. M.Belkhadem s´est en effet insurgé contre le fait que la Ligue arabe soit confinée dans un rôle subalterne de dépendance de la diplomatie égyptienne, indiquant: «Il ne faut pas que la Ligue arabe devienne une annexe du ministère des Affaires étrangères égyptien». C´est un euphémisme en fait face à la réalité, mais le mot est lâché, la ligue n´a pas l´autonomie qui devait être la sienne phagocytée qu´elle est par le pays d´accueil ! D´aucuns ont trouvé «violente» la sortie du prudent Belkhadem qui, certes, n´a pas habitué son monde à des prises de position aussi tranchées. En réalité, en avançant ce fait, -secret de polichinelle s´il en est-, M.Belkhadem fait un constat : l´inefficacité et la paralysie de la Ligue arabe ont une cause : le frein imposé par son tuteur égyptien et c´est bien là le fond du problème. Les Egyptiens qui se sont hérissés suite à la présentation du projet algérien de réforme de la Ligue arabe, donnent à voir combien ils sont loin de la dynamique induite dans le monde en ce début de troisième millénaire en restant cantonné dans un réducteur quant-à-soi. Ce que montre la réaction épidermique du Caire face aux plans de réforme des Occidentaux pour le Moyen-Orient. De fait le GMO américain concerne au premier chef des pays comme l´Egypte qui ont pris du retard dans le domaine des libertés et de la démocratie. Chasse gardée du personnel politique égyptien, la Ligue arabe a servi, depuis sa création, au recyclage du personnel politique et diplomatique égyptien en fin de carrière. C´est un fait qu´il est vain de vouloir éluder. Ainsi, à l´exception notable du Tunisien Chedly Klibi, premier responsable non egyptien de la Ligue arabe durant sa période tunisoise, le secrétariat général de cet ensemble arabe a été le fait exclusif des ministres égyptiens des Affaires étrangères en fin de mission dans la diplomatie de leur pays. La réaction du ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Maher, (remplacé depuis par Ahmed Abou Gheit), lors du sommet arabe de Tunis, à l´évocation par M. Belkhadem de la nécessité de l´alternance au poste de SG de la Ligue arabe, est révélatrice de la manière avec laquelle les Egyptiens pensent et comprennent le monde arabe. Ainsi, indique M.Maher «l´habitude a fait que ce poste revient à l´Egypte». Et c´est loin d´être un lapsus. Ainsi, selon M.Maher, le poste de SG de LEA (Ligue des Etats arabes, nom complet de l´organisation arabe) est «patrimoine» de l´Egypte qu´il n´est pas question de remettre en cause. Cela peut expliquer pourquoi l´Egypte reste l´un des pays arabes les plus hostiles aux réformes, réformes que les observateurs s´accordent à estimer incontournables. D´ailleurs, enfonçant le clou, M.Belkhadem, dans un entretien au journal égyptien Al Ahram, précise: «S´il y a une volonté arabe réelle de provoquer un changement global dans la vie et les relations interarabes, la réforme doit commencer par notre ombrelle politique qui est la Ligue arabe, ainsi que par le secrétariat général de celle-ci». M.Maher n´a trouvé que cette échappatoire: «Cette question ne se traite pas à travers des déclarations de presse» pour répondre à la préoccupation de son homologue algérien. De fait, rien de sérieux, qui engage le monde arabe, ne se traite au niveau de la Ligue arabe. Autant dire que l´Egypte est pour le renvoi aux calendes grecques de la question de l´alternance dans la Ligue et des réformes dans le monde arabe. L´actuel secrétaire général, Amr Moussa, ancien chef de la diplomatie égyptienne, a accédé au poste en 2001 prenant la relève de son prédécesseur aux AE égyptiennes, Esmat Abdel Meguid. D´autre part, 80% à 90% du personnel de la Ligue arabe est égyptien du seul fait qu´il n´existe pas de quota pour les pays arabes membres. Comme quoi la Ligue arabe, en dépit de son nom, a tout d´une affaire égyptienne. Cela explique en partie pourquoi l´Egypte ne veut pas que cela change et prend mal des propos qui ne sont dirigés ni contre M.Moussa, ni contre l´Egypte. De fait, les Egyptiens envisagent les rapports interarabes sous l´angle du leadership, or, si la chose pouvait s´expliquer, -sans pour autant la justifier- à une période donnée du parcours politique et diplomatique arabe, cela ne peut plus être le cas aujourd´hui alors que perdure la tutelle sur le monde arabe. L´Egypte ne semble pas s´apercevoir que le monde a changé et que si le monde arabe veut jouer un rôle dans les affaires mondiales -comme son poids financier et ses richesses énergétiques l´y autorisent- il doit impérativement se réformer. Aussi, l´échec de la Ligue arabe est avant tout un échec égyptien, comme le montre assez cruellement la comparaison avec le développement qu´a connu l´Union européenne, créée en avril 1957, devenue en 2005 un vaste ensemble économique où les frontières entre ses 25 membres ont été abolies, et la Ligue arabe créée en mars 1945 mais restée en 60 ans d´existence au niveau des seules intentions sans mise en application de ses principes fondateurs. Certes, comparaison n´est pas raison, mais cela indique la notable différence entre le dynamisme de l´UE et la stagnation de la Ligue arabe. La main de fer de l´Egypte a laissé la Ligue arabe à l´état d´avorton inaccompli, sans pouvoir, sans perspective, sans répondant. Or, l´Egypte sortie du champ politique arabe et du champ de la confrontation avec Israël depuis la signature de l´accord de Camp David, n´a plus de rôle évident dans la destinée de la nation arabe. Le Caire s´est de fait recyclé comme intermédiaire entre les Arabes et le duo israélo-américain. Si l´Egypte n´a plus de rôle sensible dans l´ensemble arabe, elle est par contre un frein pour la Ligue arabe s´opposant à tout ce qui pouvait remettre en cause sa tutelle sur l´organisation panarabe.