La frénésie et la relation toute particulière qu´ont les Algériens avec le bâtiment trouve toute son explication dans des causes socio-historiques et culturelles. C´est plus qu´une frénésie, une véritable obsession à laquelle ne résiste aucun des freins psychologiques qui permettent d´éviter les dérapages. C´est ainsi que l´on a souvent assisté à des fonctionnaires qui n´hésitent pas à se rendre coupables de délits, détournements, vols, corruption dont le seul but est de construire «leur villa». Pour prendre toute la dimension de la profondeur du traumatisme, il faut remonter le temps au moins jusqu´à la période coloniale. Au cours de ce siècle des ténèbres, les Algériens étaient repoussés vers l´intérieur du pays. Vers les montagnes et les terres ingrates. La faim, le froid étaient le lot quotidien des familles ainsi «déportées». En guise de toit, elles avaient, pour certaines, les grottes où eurent lieu les tristement célèbres enfumades causées par l´armée française au flanc des montagnes, pour d´autres, des chaumières de paille et de terre glaise quand ce n´était pas une simple tente. Dans cette panoplie de «logements», on ne trouvera rien d´autre que la précarité dans toute sa laideur. Une précarité que l´Algérien traînera ainsi jusqu´à l´indépendance du pays. Et c´est l´exode rural. Les villes désertées par les colons sont réoccupées par les Algériens libérés de la domination étrangère. La majorité d´entre eux a un contact brutal avec la civilisation. Leurs premiers logements en dur auront été les villas et appartements déclarés «biens vacants». Souvent, ces villas et appartements étaient entièrement équipés. Un équipement qui cadrait mal avec la condition misérable dans laquelle vivaient les Algériens. Ainsi, circulait à l´époque, l´anecdote de la vieille femme qui, s´apprêtant le soir à dormir, n´arrêtait, perchée sur une chaise, de souffler sur l´ampoule électrique dans l´espoir de l´éteindre. Situation qui n´a rien de risible mais plutôt symptomatique de l´état de déliquescence atteint par la condition humaine. Une fois que tous les logements «vacants» étaient occupés et qu´il n´y avait plus rien à espérer de ce côté-là, commence alors le phénomène des lots à bâtir. Il faut dire que les années 70 n´ont pas été ceux du bâtiment. Il était rare d´entendre le tintement des clés d´un appartement neuf. Il était donc normal que les «assiettes» aient eu le succès qu´elles ont eu. Qu´elles ont toujours d´ailleurs. Si ces «assiettes» étaient cédées au dinar symbolique aux petits copains et coquins par le maire et ses adjoints, il fallait par contre de l´argent, beaucoup d´argent pour voir sortir de cette terre une maison. Chacun a pris cet argent où il a pu. Il y a eu le trabendisme qui a commencé sous la forme de friperie «made in là-bas» envoyée par le cousin de Paris mais aussi les vols et détournements des biens des entreprises publiques. Au fil des ans, la gangrène a pris tout le corps. Au point qu´il n´est plus question de savoir d´où provient l´argent pour construire, mais comment en obtenir le plus pour avoir la plus belle villa. Et là, la notion de beauté est pervertie. Est «beau» ce qui est grand et riche. Qu´importe la matière, pourvu que l´impression y soit! Tout le monde s´est lancé dans cette frénésie de la construction. Les plus honnêtes comptent sur les magasins du rez-de-chaussée qu´ils louent pour pouvoir achever les étages de la bâtisse. Nos responsables devraient se pencher sur le phénomène et tout faire pour ne pas exercer de pression et pousser ces honnêtes citoyens à commettre des délits en exigeant d´eux d´achever dans les normes leurs constructions sans les aider. L´accès au crédit est préférable à l´entretien de la gangrène. ([email protected])