Une de nos dernières chroniques qui abordait un pan de notre histoire a suscité un flot de réactions. Parmi celles-ci, figure celle, concernant les conditions du départ massif et précipité des pieds-noirs en 1962. Et comme les réactions à un écrit de presse sont ce qu´est le filet pour la pêche, il y a eu aussi celles des falsificateurs qui veulent «triturer» l´Histoire pour accuser les Algériens d´avoir chassé les Français d´Algérie. Certains vont même jusqu´à attribuer le slogan lancé à l´époque par l´OAS «la valise ou le cercueil», au FLN. L´occasion de reprendre le sujet nous est donnée par la polémique née autour d´un immeuble menaçant ruine en plein coeur de la capitale, tout près de la Grande Poste. «Née en Algérie, je suis attachée à mon pays où j´ai choisi de continuer à résider à ce jour sans discontinuer». Ainsi s´exprime dans les colonnes du quotidien El Watan, Mme Evelyne Lechaux-Warnery, propriétaire de l´immeuble dit «La Parisienne». Mme Lechaux-Warnery est une preuve vivante que les Algériens n´ont jamais chassé personne et que ceux, parmi les Français qui ont choisi de rester en Algérie en 1962 n´ont pas eu pour seul choix le «cercueil». Au-delà des déboires, condamnables au demeurant, qu´a connus la dame et qui ont motivé son intervention par voie de presse, ceux-ci ne sont cependant en rien liés à sa qualité de pied-noir. Des déboires qui sont à mettre au compte de la rapine et de la cupidité. Des déboires également vécus par des Algériens non pieds-noirs qui se sont vus délestés de leurs biens par la bêtise du populisme qui a touché les propriétaires de salles de cinéma (même des coiffeurs et des boulangers) ou par la démagogique «révolution agraire» qui leur a confisqué leurs terres. Mme Lechaux-Warnery n´est pas la seule pied-noir à n´être jamais partie. Ils sont des milliers dans ce cas. Une partie des immeubles de la rue Hassiba Ben Bouali (ex-Sadi Carnot), par exemple, appartiennent à une famille pied-noire à ce jour. Un façonneur d´enseignes est toujours installé à El-Biar etc., etc. Mme Lechaux-Warnery vit comme tous les Algériens, les turbulences structurelles d´un pays qui ne peut, en seulement 45 ans, en finir avec toutes les séquelles d´une longue nuit coloniale. Une nuit aggravée, précisément, par les derniers mois qui ont précédé l´Indépendance. Des mois marqués par «la politique de la terre brûlée» menée par l´OAS (Organisation armée secrète des ultras d´Algérie). C´est cette même OAS qui détenait les moyens de communication (journaux, radios et télévision) pour lancer ses mots d´ordre et slogans comme le fameux «la valise ou le cercueil». D´ailleurs, le dernier attentat de cette organisation criminelle, à la veille de l´Indépendance, fut l´incendie de la bibliothèque de l´université (faculté centrale d´Alger). L´ALN n´a quitté les maquis pour rentrer en ville qu´après l´Indépendance. Quant au FLN, il était décimé à Alger depuis l´assassinat de Ben M´hidi en 1957. Ce n´est pas la zone autonome que voulait ressusciter à Alger après le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu, le commandant Azzedine, ni la faible autorité du «Rocher noir» des accords d´Evian, ni les barbouzes envoyés par De Gaulle qui pouvaient changer le cours de l´histoire. L´objectif de l´OAS, en poussant les pieds-noirs à quitter l´Algérie, était clair. Il s´agissait, ni plus ni moins, que de tenter de paralyser le pays. Tous les postes de commande étaient, en effet, entre les mains de cadres et personnels de maîtrise uniquement pieds-noirs. La colonisation avait laissé derrière elle 99% d´Algériens analphabètes. C´est ce que le Parlement français appelle «l´oeuvre civilisatrice» dans sa loi du 23 février 2005. Il faut admettre que dans de telles conditions, les Algériens ont relevé un défi historique en réussissant à prendre les commandes au pied levé et remettre en marche le pays. Evidemment qu´il faut du temps, beaucoup de temps pour parfaire et éliminer les dysfonctionnements qui existent et continuent d´empoisonner la vie des Algériens, tout autant que celle de Mme Lechaux-Warnery. Il n´empêche que Mme Lechaux-Warnery qui a vécu une mésaventure liée à l´affairisme a eu également la chance de rencontrer un architecte promoteur qui l´a énormément aidée. C´est elle qui le dit dans son article. En Algérie, comme ailleurs, on trouve des bons et des méchants. Ni plus ni moins. Cela dit et aussi vrai qu´on ne peut refaire l´Histoire, «la valise ou le cercueil» appartient à Salan, Ortiz, Lagaillarde et consorts. Personne ne pourra rien y changer. ([email protected])