Belkacem Benchargui s´était présenté, le 21 mai 2003, à l´hôpital de Rouiba sur ordonnance de madame la juge d´instruction à l´effet d´obtenir une expertise à la suite d´un coup donné à l´aide d´une caisse en plastique à l´oeil gauche qui a laissé apparaître un traumatisme avec hyphéma totale ayant nécessité une incapacité de quinze jours. L´acuité visuelle gauche est réduite avec ceci de particulier: l´hyphéma peut être complet ou partiel et se résorber spontanément. L´expertise ci-dessus est née à la suite d´un malentendu entre un cultivateur et un saisonnier, victime de coups et blessures survenus à la suite d´une rixe née, elle-même, d´insultes proférées par l´accusé. Ce dernier, à la barre, nie tout. «Je ne le connais pas. Je ne l´ai jamais vu. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ce monsieur qui n´a jamais travaillé chez moi ou avec moi», dit Belkacem. Djabali appelle alors la victime qui est presque aveugle avec cette histoire d´oeil gauche touché, alors qu´avant l´incident, la victime était... borgne. D´ailleurs, devant le fait de voir l´accusé nier les coups, la victime demande le serment. Djabali rigole: «Ici, il n´y a que les magistrats, les avocats et accessoirement les jurés qui prêtent serment.» Questions-pièges Maître Fodil Djamel tente de piéger la victime en posant des questions autour de la superficie de la ferme où il prétend avoir travaillé. L´avocat enfonce le clou et met en doute l´absence de vision de la victime. Maître Affif, l´avocat de la victime, se dit satisfait si son client peut retrouver la vue à la barre. Il ironise même autour de certaines questions de son cadet de confrère. Ali Kharachi, l´accusé, ne cesse de jurer, à son tour, que le jour des faits, il se trouvait à El Attaf (wilaya de Aïn Defla) et qu´il n´a aucun problème avec sa famille, car un de ses frères était venu à la barre témoigner en faveur de l´accusé, son frère Ali. Il est averti par Djabali de ne dire que la vérité. Il jure lui aussi que la victime voit très bien: «Ramenez des médecins ophtalmologues de l´étranger. Ils vous diront qu´il voit très bien.» «Et pourquoi étrangers?», coupe la juge sans perdre le fil des débats. Maître Fodil pose un énième piège autour de la vue, la victime se tait, alors que Mohamed Kharachi, le témoin, avait assuré que dimanche, il l´avait vu montée sur un équidé du côté d´un douar d´El Attaf. «Il marchait aux côtés du mulet en regardant devant», assure-t-il. La représentante du ministère public s´étonne que l´accusé affirme ne pas le connaître, alors que son frère donne les moindres détails de la vie quotidienne de la victime. Les témoins vont se marcher sur les pieds. Les uns affirment que Belkacem n´est pas aveugle. D´autres, non. Et c´est le noyau central de ce procès. Belkacem a-t-il, oui ou non, perdu la vue en 1997 à la suite du coup de caisse en plastique donné par Kharachi? Ahmed Kharachi, le second frangin témoin qui, d´emblée, nie avoir déclaré durant l´instruction que Belkacem, la victime de coups émanant de son frère, était totalement aveugle. Par contre, il affirme haut et fort que son frère Ali n´a jamais eu un lopin de terre ou une ferme à Rouiba. «Il étudiait à Alger», dit-il avant le déluge de questions embarrassantes posées par les deux défenseurs de Belkacem qui se mêlent des questions-réponses. Le témoin Ahmed dit, aussi, qu´il n´a jamais eu vent de cette histoire. La parquetière met en garde les témoins contre le faux témoignage d´un des témoins. Maître Fodil rappelle au tribunal criminel que le témoin est sous surveillance médicale et qu´il ne peut s´exprimer qu´en prenant un médicament spécifique et donc, il faudrait rester prudent en le questionnant. «Il a ce terrible mal de tête et il risque une syncope», avertit Maître Fodil qui verra Maître Affif poser une délicate question quant à une éventuelle hospitalisation dans un établissement spécialisé. La réponse est non, «et il est malade depuis vingt ans», soutient un des trois frères Kharachi. Un quatrième témoin, le tonton de la victime, déclare l´avoir employé dans ladite ferme durant quarante jours, à Rouiba, pas à El Attaf. «C´est celui-là, Ahmed Kharachi, qui m´a accueilli et présenté à Ali, le... patron chargé de la collecte des tomates. C´était en... 1997, année de l´infirmité de mon frère Belkacem», souligne le témoin qui va, tout comme les autres témoins, semer la certitude du mensonge dans la tête de Amina Nezzar, la procureure qu´aura révélée cette audience où elle y était à l´aise. La représentante du ministère public se lève pour un sévère réquisitoire. Les faits sont repris dans le détail. Des questions sont aussi posées. Le mal est désigné de l´index par la procureure générale qui s´est aussi adressée aux deux jurés sur ce qu´elle désigne comme crime, coups et blessures volontaires à l´aide d´une arme blanche ayant entraîné la perte d´un oeil, fait prévu et puni par l´article 264 du Code pénal. Outre l´intime conviction, il y a les preuves et les faux témoignages qui doivent conduire le parquet à demander une peine de dix ans de prison ferme. La procureure générale aura fait l´essentiel, car elle a requis, comme son aîné, Yassine Bensari, i-e debout. N´est-ce pas M´henni Ouamara? Intime conviction L´avocat défenseur de Ali Kharachi débute sa plaidoirie sur une question sensible: «Qui a fait perdre l´oeil droit avant de perdre l´oeil gauche?» Et le conseil dit ne pas connaître le passé de la victime, mais mettre le doigt sur «l´expertise médico-légale effectuée non pas en clinique, mais par un ophtalmologue!», c´est écrié le massif défenseur qui est revenu sur le doute quant aux coups et blessures qui remontent à 1997 et une expertise de 2004. Sept ans! «Vous avez sous les yeux un dossier qui est revenu de la Cour suprême pour revoir l´affaire dans sa totalité, non pas autour de vices de forme purement administratifs», a encore dit Maître Fodil qui s´est accroché à l´article 212 du Code de procédure pénale. Tirant à boulets rouges sur le magistrat instructeur, qui n´a pas l´idée de visiter une ferme durant les années de feu, car il était quasiment impossible pour l´accusé de louer une ferme durant le terrorisme dans l´antre du terrorisme, région est d´Alger. Pour Belkacem Benchargui, Maître Affif regrette que l´accusé se soit présenté ce lundi et affirmé avoir blessé accidentellement Belkacem, et l´affaire aurait été réglée au niveau de la section «infractions» de Rouiba. Or, toute la famille de l´accusé dit connaître la victime, sauf l´accusé lui-même. «Le mensonge ne saurait durer éternellement», a sifflé l´avocat de Boudouaou. La plaidoirie a été émouvante et percutante. Le conseil prend à témoin le PV du juge d´instruction qu´un des témoins donne pour faux, avant de rappeler que c´est un dossier que la Cour suprême avait cassé pour vices de forme. L´intime conviction a aussi été rappelée aux membres du tribunal criminel. «Notre client est victime», conclut l´avocat qui sera rejoint par sa charmante jeune consoeur, laquelle s´était confinée à l´expertise médico-légale quant à l´infirmité constatée et surtout éviter d´avaler la couleuvre du jour, et «nous sommes prêts à assister au visionnage d´un CD remis par l´avocat de la défense, et nous posons aussi une autre question sur les réserves émises sur le document médical qui dit explicitement que l´oeil gauche était abîmé», ont claironné les deux avocats. «Nous ne voyons pas pourquoi notre client jouerait à l´aveugle. Et puis, le coup n´a jamais été donné par une lame ou une balle. Alors, où est le crime?», s´est exclamée Maître Fadila Boubekeur, qui a accentué le fait de mentir pour éviter un rude châtiment que la justice ne manquera pas - via le parquet - de demander. Après un tir en règle dans la direction des pseudo témoins, la jeune avocate a attiré l´attention du tribunal criminel sur la vigilance à tenir durant les délibérations. Ensuite, le défenseur de Ali Kharachi, qui a repris sa place dans le box, est revenu sur l´intime conviction des membres du tribunal criminel autour de la réponse de l´accusé qui a nié connaître la victime. «C´était un étudiant en 1997. Il ne pouvait pas louer un lopin de terre, employer des journaliers, se disputer avec et les agresser», a chantonné le conseil qui a dit qu´il est heureux qu´il y ait une justice dans ce pays et la cassation est toujours un bonheur dans la recherche de la vérité. «Ce lundi, la défense est sûre que la victime voit et voit bien. Vous le constaterez en visionnant le CD qui nous démontrera que Belkacem est un... comédien et cherche à enfoncer mon client», a conclu l´avocat qui a demandé l´acquittement, avant de demander à la représentante du ministère public, l´honorable procureure générale, d´être indulgente envers le témoin, arriéré mental, qui est venu dire sa vérité, ce qu´il a vécu en toute bonne foi. Il est vrai qu´accessoirement, à défaut de l´acquittement au bénéfice du doute et la relaxe, Maître Djamel Fodil a demandé un complément d´enquête sur ce dossier dont les faits sont vieux de onze ans! En tout cas, le trio Faïza Hadjadj, Malika Djabali et Messaoud Nouisser ainsi que les deux jurés ne sont pas allés au mur pour délibérer. Il y avait tant d´évidence que la peine infligée est... prouvée. Et même Maître Djamel Fodil, l´avocat de l´accusé, a sommé un proche du condamné de se taire et de cesser de médire les juges du jour, des juges qu´il voit d´un très bon oeil, et il sait de quoi il parle. Et c´est aussi l´avis de Maîtres Affif, Boubekeur Fadila et... Lamouri qui a assisté aux débats, assis...