Le patron de la Centrale, qui a eu un entretien téléphonique avec le Chef du gouvernement, a couché sur papier les attentes du monde du travail, mais aussi la très haute estime dans laquelle Ouyahia est tenue par l'Ugta. Un véritable coup de théâtre s'est produit hier. Abdelmadjid Sidi Saïd, dont le syndicat voulait réserver son jugement jusqu'à la prise de connaissance du contenu du programme du nouveau gouvernement, a fini par anticiper les événements en adressant une lettre au style carrément «dithyrambique» au nouveau responsable de l'Exécutif. Auparavant, nous rapportent des sources proches de la Centrale, Abdelmadjid Sidi Saïd a téléphoné à Ahmed Ouyahia avec lequel il a eu une assez longue discussion à propos de la situation sociale et des attentes des uns et des autres sur cette question. La lettre qui en a résulté exprime clairement la tournure que prennent les événements. «C'est avec satisfaction et confiance que nous avons reçu votre nomination en qualité de Chef du gouvernement.» Cette phrase, qui constitue l'entame de la missive, représente un démenti indirect aux nombreuses spéculations qui ont entouré le rapprochement intervenu entre Benflis et Sidi Saïd. C'est ce qu'ont tenu à indiquer nos sources, ajoutant: «La démarche du secrétaire général de l'Ugta, parfaitement normale, puisque quelques jours après il rendait visite à Louisa Hanoune au siège de son parti et lui demandait même de publier l'information sous la forme d'un communiqué, a été mal interprétée, voire instrumentalisée à des fins politiques par certains cercles.» Ces arguments peuvent aussi signifier que le patron de la Centrale a compris sur le tard sa «bévue» et qu'il a été amené à la réparer en publiant cette seconde lettre, destinée à faire oublier la première, mais aussi à tenter de démontrer que la Centrale n'a pas, ou plus, pour vocation de défendre de potentiels prétendants à la candidature à la présidentielle, mais seulement d'être le porte-parole des aspirations des travailleurs, contraints de travailler avec les responsables en place. Il n'est pas exclu, non plus, que Sidi Saïd ait subi quelques pressions de la part des membres de la direction de l'Ugta affiliés au RND et qui représentent une majorité non négligeable au sein du secrétariat national de l'Ugta. Suivent alors, dans la lettre, les félicitations, sincères comme il se doit, de la part de l'Ugta et de son premier responsable. Sidi Saïd rappelle, subtilement, avoir déjà eu affaire à Ouyahia en tant que Chef du gouvernement entre 95 et 98. Il lui écrit, en effet: «Connaissant votre disponibilité au dialogue et à la concertation ainsi que votre patriotisme et vos engagements républicains, je reste persuadé que la conjugaison de nos efforts est une contribution productive à l'édification d'une société algérienne démocratique, prospère, juste et moderne.» Le caractère «républicain» attribué à Ouyahia peut aussi avoir pesé dans la balance puisque la Centrale, par la voix de son premier responsable, avait déjà eu à s'exprimer clairement contre la concorde nationale, de même que l'avait fait maintes fois le RND dont le premier responsable n'est autre que l'actuel Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Abdelmadjid Sidi Saïd, une fois évacuées les «civilités d'usage», entre dans le vif du sujet en se déclarant «convaincu (de la volonté d'Ouyahia) de prendre en charge, en vue de leur règlement, les problèmes qui suscitent légitimement l'inquiétude des travailleurs et de leur famille et qui portent sur leurs conditions de vie, leur pouvoir d'achat, leur emploi, leur protection sociale et le devenir de leurs entreprises». Ce sont là les grandes lignes de la plate-forme de revendications qui avaient accompagné la grève nationale des 25 et 26 février dernier. Ces points concernent également les questions devant être soulevées lors de la bipartite qui ne devrait pas être reportée et dont la date interviendrait, comme annoncé par L'Expression, dès le début du mois prochain. La lettre qui, nous dit-on, vise, peut-être, à placer le Chef du gouvernement devant le fait accompli, annonce en filigrane de nombreuses concessions sociales dans les prochains mois. Celles-ci, il faut le dire, ne peuvent qu'être liées à la conjoncture électorale actuelle. En effet, dans sa lettre, Sidi Saïd lui-même reconnaît que «cette conjoncture, contraignante à bien des égards, nous interpelle avec gravité...». Répondant à l'appel d'Ouyahia, Sidi Saïd prend acte, non sans satisfaction et «confiance» de la disponibilité d'Ahmed Ouyahia «à promouvoir un dialogue social harmonieux et productif entre les pouvoirs publics et l'Ugta». Si certains observateurs remarquent que Sidi Saïd, à travers cette lettre, vient de changer son fusil d'épaule, beaucoup, en revanche, préfèrent attendre pour voir, sur quels acquis pour les travailleurs va déboucher cette «idylle» avant de se prononcer. Les spéculations et tractations de coulisses ne font que commencer alors que moins d'une année nous sépare de la présidentielle d'avril 2004.