Le jeu au couteau vaut plus que le jeu aux dominos. Le sang, les larmes, la prison. Trois avocats, trois générations: pour un joueur de couteau prévenu de coups et blessures volontaires à l´aide d´une arme blanche ayant occasionné une profonde blessure à la joue gauche et un arrêt de travail de trente jours. Younès, le procureur, réclamera trois ans ferme. Maîtres Bessaïh, Tahar Boukhari et Fayçal Belbachir sont debout, écoutant les arguments des uns et des autres. La victime, père d´un garçon de cinq ans, regarde avec indifférence le détenu jurer qu´il n´a jamais connu la victime et qu´il était innocent. La victime, elle, est sûre de le connaître. «Je le vois souvent dans le quartier. C´est un repris de justice notoire. Je lui ai conseillé de se tenir à carreau. Il est parti chercher quatre gaillards qui m´ont immobilisé et lui, a tracé un fossé sur ma joue gauche», a dit la victime. Le prévenu crie au mensonge. «Je vous le dit que je ne le connais pas», réaffirme-t-il avant de balancer: «Complot!» Maître Belbachir cherche à savoir si lui, le prévenu, a déjà vu la victime. La réponse est non. Maître Mohammed Chérif Bessaïh veut lui aussi savoir si le délit a eu lieu à Bachdjarah ou à Bourouba (la Montagne). Et enfonce le clou: est-ce que la victime avait été trouvée avec une dame et que des citoyens embêtaient? Ce fut le courroux de la victime. Et pourquoi de coup de couteau? La victime répond que c´était gratuit. Farid Chérifi, le président du pénal du mardi, aime l´ordre. Il rappelle à la victime qu´il faut répondre seulement aux questions posées. Mohammed Seghir Younès, le parquetier, se tient les prunelles des yeux, signe de fatigue manifeste à treize heures: quatre heures déjà de débats avec deux interruptions de quinze minutes. Maître Fayçal Belbachir ne va s´accrocher qu´au témoignage du témoin voisin qui a juré avoir vu le prévenu balafrer la victime. «Son témoignage a été sous serment. Mon client a perdu la face d´agneau pour une face de chacal. Dorénavant, il va être fui comme la peste et pire, à chaque opération de police, il va avoir des ennuis à cause de la balafre.» L´avocat demande une expertise médicale. Maître Mohammed Chérif Bessaïh revient, lui aussi, à un autre témoin. «Il y a une seule chose dans ce dossier. La victime a bien réfléchi sur ce qu´elle va déclarer devant le magistrat instructeur, mais a oublié l´audience du jour.» L´avocat des arcades d´El Harrach croit tenir le bon bout avec les différents métrages donnés par les témoins quant au lieu de l´agression supposée. Avant de tomber sur la juge d´instruction qui n´a pas jugé utile de suivre le dossier de coups et blessures où la victime du jour a rossé le frère du prévenu qui est venu ce mardi dribbler, oubliant aussi que la victime n´a qu´un seul témoin alors que le prévenu en a trois! Sur ce, il propose un complément d´infos, à défaut, le doute doit l´emporter. Maître Tahar Boukhari, pour le prévenu, reprend de volée l´histoire du frère du prévenu agressé auparavant par la victime: «Elle a mis au point un stratagème pour pouvoir faire oublier l´instruction où il est poursuivi pour coups et blessures. La cicatrice? Qui l´a provoquée? On en doute fort», a dit, entre la mâchoire, l´avocat barbu qui a, lui aussi, rappelé à Chérifi les témoignages, tous les témoignages qui contiennent le verdict: la relaxe pure et simple. Sinon, au bénéfice du doute? Le président, lui, ne va pas se faire un sang d´encre avec ce doute qui plane sur cette affaire. Alors, il n´hésitera pas à aller au-devant de la relaxe au bénéfice du doute. Et c´est même très bien payé!