«Un grand soleil d´hiver éclaire la colline...» qui surplombe le petit village assoupi: quelques rares vieillards étaient venus à la djemaâ qui faisait face à la fontaine publique dont les eaux généreuses s´écoulaient depuis des temps immémoriaux par quatre ouvertures de bronze. Les vieux recroquevillaient leurs membres engourdis et se laissaient caresser par les timides rayons de soleil. La plupart ont fui la promiscuité de leurs masures humides. J´ai le souvenir d´un vieil aveugle qui avait l´âge de mon père: il venait chaque matin raconter ce qu´il avait entendu à la radio car il était l´un des rares à en posséder une. Et les dernières informations concernant une guerre qui durait depuis déjà deux ans, soulevaient des commentaires passionnés. Ce matin-là, avant même que le vieil aveugle n´ait commencé sa harangue quotidienne, une patrouille de soldats français traversa la petite place. Un des soldats vint s´asseoir entre moi et le vieil aveugle. Il nous salua poliment, le fusil posé en travers sur ses jambes. Tout de go, il nous fit part de son désarroi et il avoua ne pas comprendre le sens de sa mission dans une région aussi pauvre: «Ce matin, un pauvre bonhomme est sorti avant la levée du couvre-feu, j´ai dû tirer en l´air pour lui signifier de rentrer chez lui...» Le soldat poursuivit qu´il avait hâte de rentrer chez lui car son père était seul à exploiter la petite ferme familiale. Des exemples de soldats français fourvoyés dans une guerre qui servait les intérêts des gros colons. Elle posait aussi le problème de solidarité, et cela, je ne l´ai appris que bien plus tard, entre les différentes couches de la population d´un payé donné. Cette confession du soldat français que nous avions prise pour une provocation ne faisait que renforcer le problème de la motivation des jeunes appelés dans un conflit imposé. J´ai pu relier cette anecdote presque trois décennies plus tard quand, à l´occasion d´une grève des aiguilleurs du ciel (grève que Ronald Reagan brisa aussi impitoyablement, avec la même férocité dont Margaret Thatcher usa pour briser la grève des mineurs britanniques en déclarant avec cynisme, aux aiguilleurs licenciés et remplacés par des militaires: «Quand nous nous enrichirons suffisamment, nos surplus dégoulineront sur vous.» Il semble pourtant que les classes possédantes ne soient jamais rassasiées. Les classes inférieures attendent en vain une nouvelle redistribution des richesses alors que le fossé ne cesse de s´élargir entre les riches et les pauvres. Comme l´expliquent les marxistes, ce sont les classes au pouvoir qui décident de la conduite d´une nation. Toutes les institutions (armée, police, justice, système éducatif, parlement) sont à leur service. Alors on comprend que ce sont tous les enfants des classes inférieures qui sont mobilisés et envoyés au casse-pipe pour défendre, au nom du patriotisme, du besoin de sécurité ou de tout concept forgé par l´idéologie dominante, les intérêts de la classe dominante. Les diverses guerres le montrent aisément: le sacrifice des simples gens en Afghanistan, en Irak ou ailleurs, n´ont servi que les tenants des intérêts pétroliers américains. Comment alors, voulez-vous qu´une victime de la crise des «subprimes» aille à la guerre, la fleur au fusil? Comment un candidat à la «harga» peut-il se sentir solidaire de quelqu´un qui reçoit un salaire de trente fois le Snmg sans mouiller sa chemise?