«J´aime l´âne si doux, marchant le long des houx» ou bien «Petites campanules qui tintez au cou des mules»... C´est par des petites poèmes ou des chansons empreintes de tendresse et de compassion que les pédagogues de l´Ecole de la IIIe République française ont tenté de rapprocher les jeunes âmes sensibles des écoliers à la dure condition des animaux domestiques, et cela, bien longtemps avant «30 millions d´animaux» ou la fondation des SPA. Poèmes, chansons, contes, romans, célèbrent ces compagnons de l´homme qui triment, souffrent et partagent la traversée de cette vie. Ces animaux très utiles sont vénérés au point de les rendre les premiers témoins de la naissance du Christ dans une étable de Bethléem où l´âne et le boeuf avaient trouvé refuge tout comme Marie et Joseph. La campagne traditionnelle, avant l´invasion des 4x4 et des moteurs à explosion polluants, connaissait le doux bruit des pieds ferrés des ânes sur les sentiers parsemés de pierres et de cailloux. Le travail du maréchal-ferrant au milieu de l´odeur de la corne brûlée et des braiments, était un spectacle quotidien, pittoresque des petits villages des montagnes. L´âne était si utile, si indispensable sur ces chemins qui montent que son propriétaire le traitait souvent comme un membre de la famille. Il en était de même du boeuf qui laboure ou du chien qui garde la maisonnée. Il arrive cependant qu´un pauvre paysan, devenu hargneux à cause du poids de la misère s´en prenne à cet animal intelligent qui n´obéit que quand il en sent la nécessité. Un jour, j´ai vu un grand-père, très affectueux d´ordinaire, torturer de sa «chouka», ce bâton armé d´un clou destiné à stimuler un animal rétif, s´en prendre à son âne qui, d´habitude, était d´une docilité exemplaire. L´âne se cabra, rua et envoya le grand-père dans le fossé d´où il se releva en se tenant les côtes endolories. Plus tard, pris en auto-stop par un «coopérant technique» qui travaillait pour une entreprise de construction métallique de Sidi Moussa, je fus témoin d´un spectacle désolant: un petit ânon gris, chétif, traînait, d´une démarche mal assurée, une énorme charrette remplie d´oranges. Le petit animal peinait sur la route du Ravin de la femme sauvage. Le coopérant technique, un Alsacien de bonne facture, me dit: «Regarde, c´est un spectacle intolérable...» Je répliquai alors à cet homme dont le salaire était trente fois supérieur au Smig d´alors, que son propriétaire devait être encore plus malheureux que l´animal. Et qu´il fallait choisir la priorité, défendre l´homme ou l´animal. Les sociétés où les droits de l´homme sont ignorés, les animaux n´ont pas voix au chapitre. Cependant, il n´est pas rare de voir ces créatures traînées en justice par des gens sans scrupules qui ont un sens exacerbé de la propriété, sentiment que ne partage pas cet animal intelligent qu´est l´âne: en Egypte, un représentant de cette douce espèce d´ongulés s´est vu condamné par un tribunal pour avoir «volé du maïs». Lui, qui a dû en transporter des tonnes durant sa dure existence, est condamné à 24 heures d´emprisonnement, mais son propriétaire a payé une amende de 50 livres égyptiennes. Moralité: si le propriétaire l´avait nourri convenablement, ce noble animal n´aurait pas été tenté par le champ d´un centre de recherches agronomiques. On ne nous dit pas si le maïs était transgénique ou non. Mais, on nous précise que des forces de police ont été mobilisées pour trouver le coupable qui a été arrêté à un barrage et conduit manu militari devant un effendi juge. De mémoire d´âne, on n´avait jamais vu ça!