La pratique des voeux de fin d´année commença à passer dans les moeurs à partir de l´école primaire. La pédagogie de l´instituteur consistait à donner aux petits écoliers une courte rédaction à faire sous la forme d´une lettre adressée à une personne choisie: l´élève sincère (ou naïf, c´est selon le point de vue ou l´on se place) l´adressait à son père, à sa mère (encore que cette dernière ne bénéficiait de la part des futurs mâles que d´une affection discrète car c´était fort mal vu à cette époque même où on ignorait tout d´dipe, de parler de la mère, de la soeur...) ou à une autre personne de son choix. Les plus futés, évidemment, choisissaient l´enseignant ou son épouse qui s´occupait de la classe préparatoire, comme destinataire de leurs souhaits. C´est ainsi, comme je l´avais compris plus tard, que naissaient les vocations de lèche-bottes. Il va sans dire qu´ils récoltaient, en général, les meilleures notes. Quoiqu´il en soit, je garde toujours un souvenir attendri de ces années où même la misère semblait douce tant l´enfance était insouciante. Si nous vivions la plupart du temps l´école comme un enfermement, durant l´hiver, qui était alors plus rude qu´à présent, la salle de classe était un refuge douillet, une oasis de confort par la simple présence d´un accessoire qu´on entourait de toutes les attentions nécessaires durant la mauvaise (pourquoi dit-on «mauvaise»?) saison. Pour les neuf classes situées au rez-de-chaussée des deux bâtiments que comptait l´école, il n´y avait qu´un agent communal pour s´occuper de l´entretien et du nettoyage de tous les espaces communs. Mais en hiver, la première tâche du balayeur qui commençait son travail aux aurores, consistait à allumer les poêles qui fonctionnaient au bois. Les petits écoliers qui avaient fait des kilomètres sur les sentiers glacés et qui arrivaient grelottant et mouillés, étaient ravis de trouver le ronronnement du poêle qui, contrairement aux «kanouns» domestiques, chauffait sans fumer. C´était pour nous le premier signe du progrès. L´autre visage du progrès était l´instituteur qui arrivait toujours frais et dispos, bien rasé, et la mine réjouie. Il pouvait avoir le physique d´Homère Simpson, il demeurait quand même un bon exemple pour nous, à cause de sa tenue, toujours impeccable et de sa bonne humeur. Par temps de neige, une grande partie des élèves manquait à l´appel et devant une classe à moitié vide, l´enseignant, compréhensif, ne prenait pas la peine de nous faire un cours important: on procédait soit à des exercices de révision en calcul, soit à des lectures de textes déjà vus ou à un cours de morale. C´était le cours que nous préférions par-dessus tout car il n´impliquait aucun effort de notre part; nous ouvrions nos oreilles et écoutions religieusement cette voix magistrale parler avec un accent venu d´ailleurs, des plus belles vertus humaines. L´instituteur prenait son petit livre, et, parcourant les allées de la salle de classe, il lisait, en soignant sa diction, le texte ou la fable du jour qui était censé faire de nous, des hommes véritables, honnêtes, courageux, généreux, solidaires, loyaux et décidés. Outre l´esprit de sacrifice, le mépris du gaspillage, le cours de morale insistait toujours sur la valeur du travail et du goût du pain gagné à la force des bras. La fable du laboureur et de ses enfants était un exemple pertinent. Quand je la raconte maintenant à mes enfants qui ne l´ont pas apprise à l´école fondamentale, ils me répondent: «C´est le commerce qui enrichit!»