La justesse et la modération du ton de son interlocuteur avait profondément impressionné Si Boudjemaâ. Il n´avait jamais soupçonné un instant, chez son ancien camarade de classe, cette aptitude à analyser des problèmes et à en restituer les diverses conclusions possibles avec un certain détachement, et même avec une réelle froideur qui contrastait avec la chaleur que dégageait l´amitié d´un tel personnage dont les sentiments empreints d´humanité ne laissaient aucun doute sur sa droiture. «Ya Noureddine, je me demande parfois pourquoi tu n´as jamais pensé à écrire dans un journal ou à collaborer à une revue. Tu aurais pu faire profiter un nombre important de lecteurs de toutes les connaissances que tu as acquises au cours de ta carrière, ne serait-ce qu´en parlant des problèmes de l´éducation, de l´enseignant ou des choses attenantes. -Ecrire est une grande responsabilité et j´ai un trop grand respect pour cette noble profession pour que j´aille à mon tour la ternir en colportant des demi-vérités, des pieux mensonges ou des platitudes exprimées dans la langue de bois. Il m´a semblé très aisé d´apprendre à écrire: comme le disait mon ancien professeur de français, (je parle du dernier, l´ancien instituteur amoureux des belles-lettres françaises et qui est devenu professeur après l´Indépendance), il faut s´efforcer d´être clair pour écrire. Un sujet, un verbe et un complément suffisent à exprimer la pensée d´un individu. Mais il n´a pas oublié d´ajouter aussi qu´il faut être sincère. La sincérité est une grande qualité dans un ouvrage: elle excuse tous les autres défauts. Et on ne peut être sincère qu´en écrivant avec la langue de tous les jours. Et puis, être sincère, c´est un peu dangereux par les temps qui courent. Le premier geste que j´ai eu au lendemain de l´Indépendance, geste dont je me souviens encore, c´est d´avoir subtilisé dans la tirelire familiale vingt centimes pour acheter le premier exemplaire d´Alger Républicain qui a paru sur deux pages avec, en filigrane, le drapeau algérien. C´était une joie immense. Mais je me suis toujours rappelé la sage devise de ce quotidien plusieurs fois interdit: «Dit toujours la vérité, rien que la vérité, mais pas toute la vérité.» Il y a là de quoi décourager plus d´un. Il est facile de rapporter les propos d´un ministre à la faveur d´une conférence de presse ou de l´inauguration d´un projet qui a fait de temps en temps la «une» de quotidiens non inspirés, mais montre-moi une enquête sérieuse à propos de la montée spéculative d´une denrée de première nécessité. Sous d´autres cieux, des reporters audacieux auraient remonté la filière, et démonté tous les mécanismes qui ont contribué à gonfler les prix, du producteur jusqu´au consommateur en passant par Wall Street. Un autre exemple édifiant: les journaux ont dénoncé avec véhémence l´assassinat d´un militant du Hamas dans un hôtel six étoiles à Dubaï, place forte du capitalisme et création récente du colonialisme britannique. Ce militant a été assassiné par une bande de truands recrutés par les ambassades sionistes dans la communauté européenne. Et il faut saluer l´hypocrisie anglaise qui a consisté à convoquer l´ambassadeur sioniste pour lui demander des comptes, eux qui n´ont pas hésité à mettre à feu et à sang depuis 60 ans tout le Moyen-Orient.