Le personnage est un homme qui fait partie de ceux qui ont écrit l'Histoire. Pourrait-on dire que Kamel Bouchama nous surprend, encore une fois, en nous livrant un autre ouvrage pour cette année? Non, pas du tout! Le contraire nous aurait étonnés, s'il aurait tardé à nous présenter quelque chose qui vienne stimuler notre curiosité. Après Les Algériens de Bilâd ec-Shâm, bel ouvrage qui nous a réconciliés avec notre fierté d'antan, le voici aujourd'hui, avec un autre ouvrage - politique - qui sort un peu de l'ordinaire. Kaïd Ahmed, homme d'Etat est le titre de ce nouveau-né qui vous saisit et vous transporte dans l'opacité d'une «Direction révolutionnaire» où les tenants vivaient à l'ombre d'un système déjà éculé, à bout de souffle, qui allait à vau-l'eau. Cet ouvrage, en tout cas, restituera à Kaïd Ahmed, le «visionnaire», son droit et son respect que des «Pharisiens» ont entamé, en échafaudant des complots, pour le parer de mille et une avanies, de mille et une carences et enfin, pour le vouer aux gémonies et l'éliminer de la scène politique. Est-ce une orientation nouvelle chez cet auteur prolifique? Ou est-ce une décision réfléchie, celle de faire paraître un genre de «plaidoyer», légitime au demeurant, dans une ambiance politique des plus précaires, voire des plus difficiles? Ce sont des questions qui se doivent d'être posées quand l'on sent, à travers la lecture de «bonnes feuilles», que cet ouvrage peut être considéré, à juste titre, comme une expression de révolte intérieure, car il n'est pas dénué de positions politiques et de certaines révélations qui peuvent entraîner aujourd'hui diverses réactions, en tout cas de grands débats d'idées. Rentrons dans le livre et intéressons-nous à ses «bonnes feuilles». D'emblée, Bouchama s'évertue à parler aux jeunes. C'est son habitude dans tous ses écrits. C'est aussi un excellent tic, si c'en était un, car il écrit à cause de la méconnaissance qu'a cette génération du monde politique. En effet, les jeunes ne connaissent pas Kaïd Ahmed, de par leur âge d'abord, et ensuite, parce que les aînés que nous sommes, avons soigneusement maintenu le voile du silence sur ce dirigeant qui aura scellé, de manière indélébile, une notoriété qui le faisait comme l'ombre et le corps avec l'amour de la patrie, le courage à toute épreuve, le sacrifice, la droiture et d'autres vertus qu'on pourrait citer fièrement, indéfiniment. Ecrire pour les jeunes, dans ces conditions, «c'est essentiel pour moi, nous dit-il, au moment où, franchement, les «autres» m'intéressent moins, parce qu'ils connaissent la vérité». Un propos clair..., franchement! Kamel Bouchama nous explique que ce livre est le fruit de tant de recherches et de réflexion. Il tient à préciser qu'il n'est pas venu, comme cela, après une pensée subite, ou parce qu'il lui a été «commandé» ou inspiré par un quelconque personnage. Cela aurait été malvenu de sa part, le connaissant bien, et il se serait senti très mal en faisant le «nègre» de gens «bien intentionnés». Ce livre est le produit qui couronne un temps appréciable d'études autour de la personnalité de celui pour qui il avait une vive admiration. Pour nous en convaincre, qu'on revienne à ses anciens ouvrages et à ses contributions au niveau de la presse et nous remarquerons cet amour de la vérité qui persiste en lui. Comment donc, ne pas oser écrire sur une personnalité qui l'a grandement marqué, depuis ses débuts dans la politique? Pourquoi donc ce choix.., encore une fois? Parce que le personnage, explique-t-il, est un homme qui fait partie de ceux qui ont écrit l'Histoire et parce que ce choix, celui de le revisiter à travers un ouvrage, découle de cette intrigue jamais révélée en notre pays, au sujet de ce dirigeant qui a été au sommet de l'Etat et qui a été méticuleusement occulté après sa mort, après avoir été combattu de la façon la plus vile. Ce livre lèvera le voile, certainement, sur plusieurs «situations» et fera son effet - nous en sommes convaincus - sur tous ceux qui n'étaient pas au fait de la réalité. N'est-ce pas que: «Quand la Vérité apparaît, elle fait tout disparaître», comme l'affirmait le vénéré Sidi Bou Médiène, patron de Tlemcen? Alors, l'auteur sait, comme le savent tous ceux qui pensent logiquement, que dans toutes les pages d'Histoire, il y a de belles choses, mais il y a aussi de moins belles... Il faut les dire. Il faut s'assumer. Là, bien entendu, il n'a pu tricher..., absolument pas! Il appartenait à cette école, celle qui lui a appris à être fidèle à ses principes et courageux dans le propos. Ainsi, cet ouvrage parait au bon moment où les esprits s'échauffent pour demander, à juste titre d'ailleurs, des réformes et des changements profonds dans les systèmes de gouvernance. Est-ce la bonne période? Et Kamel Bouchama nous répond amplement dans ce qu'il écrit en s'appuyant sur les déclarations de Kaïd Ahmed qui, en son temps, n'espérait pas moins. Révolution populaire Pour étayer ses dires, on relève dans son ouvrage que son «héros», en Homme conscient, et qui faisait l'objet d'appréciations subjectives, souvent infondées qui ne le préservaient pas de cette réprobation morale, dont certains ont voulu l'affubler, communiquait courageusement ses propres convictions au vu d'une situation qui se dégradait et dont les effets négatifs se succédaient et faisaient que notre quotidien se compliquait de plus en plus au point de devenir pénible et invivable. Il parlait dans le sens de l'espérance quant à l'avenir de ces masses de jeunes de notre pays, enlisées dans les objections de ses gouvernants, mais demain, agissantes - affirmait-il -, pour des horizons meilleurs dans le cadre de mouvements qui n'accepteraient plus l'indignité et la déchéance. Kaïd Ahmed, nous confirme l'auteur, disait en termes clairs: «Le mécontentement du peuple aura de graves répercussions sur les régimes politiques actuels, ce sera le départ d'une Révolution populaire dont il est difficile d'imaginer les aspects et les conséquences». Peut-on soutenir, après cette sentence prémonitoire, que Kaïd Ahmed qui conservait l'esprit du combattant de la lutte de Libération nationale, n'était pas visionnaire! Cet ouvrage sort maintenant, en ces temps maussades..., il sort, non pas avec l'intention de provoquer, charger ou culpabiliser qui que ce soit, mais pour remémorer un dirigeant qui parlait vrai au moment où les autres, ses pairs, parlaient faux. La preuve - et nous allons prendre quelques exemples -, il évoquait cette gestion des cadres qui, selon lui, devait connaître une refonte totale pour éliminer le carriérisme et «l'à-plat-ventrisme» qui nourrissaient les mauvais compromis et les compromissions, conçus et construits sur le dos de la Nation, de la société algérienne et de l'Etat. Cette exigence majeure avait atteint sa cote d'alerte déjà en 1972 quand il dénonçait comment: «une telle situation appelait inévitablement et favorisait l'envahissement du pays par une meute d'affairistes venus de tous les horizons et qui, par l'intermédiaire de compradores insatiables, tissaient des liens avec les réseaux dont l'emprise sur les centres de décisions du régime transformait le pouvoir en une illustration caricaturale n'ayant plus ni attache ni aucun trait d'union avec l'Algérie résistante.» Pareille analyse, vieille de 40 ans est d'une telle actualité qu'il faut peser chaque mot de cette longue phrase, tant le combat de l'Algérie, aujourd'hui, contre le sous-développement, l'ignorance, la pauvreté, l'indigence culturelle, l'exclusion, les archaïsmes, la bureaucratie, la corruption et la négation des institutions et des compétences, est loin d'être gagné et que les mêmes causes produisent les mêmes effets, des dégâts incommensurables sur la perception de l'intérêt public, du civisme, des valeurs humaines, du respect de l'éthique. En fait, le temps n'a rien à y voir, quand il ne donne pas l'étrange et dangereuse impression qu'il n'avance pas. Quelle fraîcheur pour ces convictions de 1972! Seuls les Hommes, avec un H majuscule - comme se plait à l'écrire l'auteur -, savent poser les grandes et véritables équations pour construire une Nation qui a su arracher son indépendance..., mais n'a pas atteint son émancipation plurielle. Mais dans tout cela, me diriez-vous, comment Kaïd Ahmed voyait-il, en son temps, l'avenir de notre pays, si l'on reste dans l'ouvrage volumineux qui lui est consacré? En effet, la réponse est dans l'ouvrage lui-même. Elle est dans plus de 500 pages qui vous racontent ce personnage hors du commun, ce militant qui a pris ses responsabilités devant tous les événements qu'a connus notre pays qui souffrait et qui souffre, aujourd'hui plus qu'hier, de tant de problèmes inhérents à la mauvaise gouvernance et aux crises successives de moralité qui le persécutent depuis que nous avons perdu la raison. Contrôle du pouvoir Mais avant de nous aventurer dans la critique littéraire de cet important ouvrage - celle-ci viendra bien après - disons que la prise de connaissance de l'oeuvre de Kaïd Ahmed, aujourd'hui, pourrait laisser stupéfait le lecteur, particulièrement nos jeunes qui ont peu ou prou appréhendé l'Histoire du pays, notamment dans sa période postindépendance. En effet, dans cet écrit, il y a des révélations, dont un document de ce responsable, qui respire une telle fraîcheur, une telle pertinence et une telle acuité d'analyse qu'il donne l'étrange impression d'avoir été produit il y a un mois à peine ou simplement hier. Bien entendu, il faut pour une juste appréciation de ce document, d'une extrême importance, le situer dans le contexte des institutions de l'époque et de la démarche d'ensemble qui reposait sur le monopartisme avec le FLN comme sujet et objet de tous les débats internes, parmi la classe politique d'alors. Scrutant les réalités, les situations et les comportements de son époque, d'un oeil sans complaisance, Kaïd Ahmed a abordé, sans complexe, ni calcul, les questions de fonds qui agitaient (et agitent toujours) le pays. L'examen avec intelligence et lucidité des dysfonctionnements et des miasmes des institutions du pays, laisse le lecteur admiratif quant à la justesse des analyses relatives à l'immobilisme dénoncé déjà en 1972. Le document offre une grille de lecture intéressante pour comprendre l'évolution des moeurs et des pratiques politiques en vigueur dans notre pays. Alors, si vous posez la question à Kaïd Ahmed, comment voit-il l'avenir de notre pays, en supposant qu'il est toujours de ce monde, il vous répondra certainement, le plus simplement du monde: le changement radical, comme option irréversible..., pas plus, pas moins car, pourra-t-il, en réalité, ajouter quelque chose aux justes solutions préconisées par lui-même - je vous laisse le soin de les lire attentivement dans l'ouvrage - après avoir fait un constat effrayant de la situation d'alors et dont les effets se perpétuent présentement? Celui qui s'était lancé dans la description d'un vaste «carrousel» de tares, de difficultés et de déficits marquant cette période, a dit davantage. Ainsi, à la lecture de celles-ci, vous comprendrez que ce membre du Conseil de la Révolution présentait en fait un véritable projet politique que de nombreux pays n'ont pas réussi ou voulu mettre en oeuvre en adoptant le nécessaire équilibre entre ingénierie politique et exigences sociologiques pour régler les questions liées à l'accès, à la répartition, au contrôle du pouvoir. «Kaïd Ahmed, homme d'Etat», 516 pages, Editions Juba