L'enquête déclenchée tous azimuts par la présidence s'apparente à un véritable coup de pied dans la fourmilière. Des sources proches de l'enquête déclenchée par le Président de la République au lendemain du drame d'Alger et de Boumerdès sont formelles: «Au moins une dizaine d'interdictions de sortie du territoire national ont été lancées à l'encontre de hauts responsables et capitaines de l'industrie impliqués dans l'importation de rond à béton et divers matériaux de construction frauduleux.» Cette décision, relèvent nos sources, «a été prise alors même que l'enquête n'a pas été achevée parce que deux des personnes impliquées dans ce véritable crime contre l'humanité ont pris la fuite espérant que les choses se tasseront entre-temps.» La PAF (Police des frontières), la douane et les différents services de sécurité, nous disent nos sources, «ont reçu depuis hier les noms, photos et raisons sociales d'environ une dizaine de personnes désormais interdites de quitter le sol algérien». Ces responsables et magnats dans les matériaux de construction, matérialisant ce qu'il conviendra d'appeler désormais «la mafia du bâtiment», ap-prend-on également de sources judiciaires, devraient être convoqués dès le début de la semaine prochaine par les magistrats instructeurs puisque l'on croit savoir que «pas mal de dossiers auraient déjà été ficelés, transmis au premier magistrat du pays qui en a saisi le parquet général». Des sources judiciaires et d'autres proches des services de sécurité chargés de mener ces enquêtes n'hésitent pas à prédire que des «décisions de détention préventive seraient prises à l'encontre de la plupart de ces représentants les plus en vue de la mafia du bâtiment alors que leurs comptes bancaires personnels et professionnels seront gelés en même temps que leurs biens en attendant que la justice tranche définitivement cette affaire». Jamais sans doute la justice n'aura mérité autant son droit d'être rendue «au nom du peuple algérien», souligne finement un haut magistrat sous le sceau de l'anonymat. Il indique, non sans raisons, que «les quelque 2500 morts, près de 10.000 blessés, plus d'un millier de disparus et des dizaines de familles sinistrées attendent que justice soit rendue à leur détresse. Le peuple entier, triste et coléreux en même temps, attend la même chose». Non sans ironie, d'autres sources proches des services gouvernementaux soulignent finement que «les choses ne se tasseront jamais». «Les enquêtes ordonnées par le Président lui-même, et suivies de bout en bout par lui, entrent dans le cadre du plan portant moralisation de la vie publique. Aucune force ne pourra arrêter cette machine. Cela a fortiori que les regards de la planète entière sont braqués sur notre pays et que tous les médias planétaires s'accordent à dire qu'en plus de la fatalité, les malfaçons et nombreux trafics constatés dans les constructions effectuées durant la décennie 90». Dès les premiers constats faisant état de graves aberrations dans les effondrements, puisque des immeubles et maisons neufs se sont écroulés alors que des demeures centenaires sont demeurées debout, le Président a ordonné que des enquêtes soient menées. Des équipes formées d'experts, de membres des services de sécurités et d'éléments de l'ANP mem-bres du génie militaire ont sillonné l'ensemble des endroits sinistrés et rapporté des constats, des témoignages et des documents accablants sur les agissements de la mafia du bâtiment. L'ensemble des services étatiques concernés, collectivités locales, Duch (Direction de l'urbanisme, de la construction et de l'habitat), Eplf (Entreprise de la promotion du logement familial), Opgi (Office de la promotion et de la gestion immobilière), promoteurs immobiliers, fabricants et importateurs de matériaux de construction sont concernés par cette enquête, les uns étant directement impliqués, les autres ayant fourni de précieux documents aux enquêteurs. De gros barons, dont un magnat qui s'est illustré dans l'importation du rond à béton durant les années 90, ont ainsi pu être coincés à l'aide de documents et de faits accablants. Des complicités à divers niveaux de l'administration ont aussi pu être situées. Déjà en 2001, lors d'un mémorable Conseil des ministres, le Président Bouteflika tirait avec vigueur la sonnette d'alarme à propos de l'urbanisation anarchique des cités algériennes et des graves conséquences pouvant en découler. Les événements, quelques mois plus tard, devaient lui donner raison à travers les inondations de Bab El-Oued d'abord et le séisme d'Alger et de Boumerdès ensuite. Le béton irradié ou de mauvaise qualité importé durant les années 90, mais aussi les matériaux de construction de mauvaise qualité importés durant cette même époque ont, hélas, servi dans toutes les wilayas du pays. Ramenés par flottes entières, ces produits, du temps où ces barons faisaient la pluie et le beau temps dans notre pays, étaient déversés dans tous les ports du pays et étaient distribués sans le moindre contrôle. De graves menaces pèsent donc sur les autres villes du nord du pays en cas de nouveau séisme, qu'à Dieu ne plaise. Les pouvoirs publics, outre le châtiment exemplaire qu'ils projettent d'infliger à ces barons coupables de véritables crimes contre l'humanité, projettent de refaire les contrôles techniques de toutes les constructions nouvelles du pays et de durcir les mesures pour tout nouveau chantier devant s'ouvrir à l'avenir dans le pays. La chasse à la mafia du bâtiment a bel et bien commencé. Entre laxisme et complicité, la fourchette est large, certes. Mais il ne fait presque aucun doute, aux yeux des enquêteurs et des services en charge de ce dossier au niveau de la présidence, que «ces abus doivent être châtiés de manière exemplaire afin que pareils drames ne se reproduisent plus».