Le Vieux Continent entend se barricader à l'intérieur de sa prospérité. Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement de la future Union européenne élargie se réunissent en sommet à partir de demain, à Salonique en Grèce, pour évaluer leurs premières dispositions sur le projet de Constitution européenne. C'est l'ancien chef d'Etat français, et actuel président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valérie Giscard d'Estaing, qui transmettra le lendemain, officiellement et solennellement aux 25 dirigeants de la prochaine Europe élargie, le projet de Constitution finalisé, il y a une semaine à Bruxelles après presque une année et demie de travaux. L'avenir de ce texte qualifié d'«historique» par ses concepteurs, dépend de l'appréciation des gouvernements européens, appelés à se prononcer de manière définitive, lors d'une Conférence intergouvernementale (CIG) devant avoir lieu en octobre prochain. D'ores et déjà, et malgré le consensus constaté la semaine dernière, les gouvernements du Vieux Continent semblent toujours divisés sur des points fondamentaux, comme la création d'un poste de président stable de l'UE ou les nouvelles modalités de vote en Conseil des ministres. La possibilité que l'UE se dote d'un ministre des Affaires étrangères, une éventualité contenue dans le projet de Constitution, vue comme une nécessité induite par la crise irakienne, dont les remous ont failli porter un coup fatal aux travaux de la Convention, risque également de susciter des tractations serrées. Mais, pour les milieux extraeuropéens, c'est la politique européenne d'immigration qui retiendra l'attention, tant les dirigeants européens entendent donner, à la faveur de ce sommet de Salonique, une nouvelle dimension à leur politique commune en la matière à travers davantage de luttes contre les clandestins et les sans-papiers, un accroissement des budgets pour les contrôles aux frontières et une délivrance rigoureuse et sécurisée des visas. Lancée en 1999, la politique européenne commune d'asile et d'immigration s'est traduite jusqu'à présent par ce que les spécialistes ont appelé «un laboratoire législatif» où les initiatives en ce sens sont souvent disproportionnées par rapport aux ressources financières (moins de 1% des dépenses communautaires). Toutefois, dans le futur budget de l'UE (2007-2013), la Commission européenne propose de consacrer entre 80 et 140 millions d'euros au développement d'une base de données sur les visas et à des projets de coopération aux frontières et de rapatriement des indésirables. Système d'information des visas (VIS) par l'utilisation des données bio-métriques (empreintes digitales, iris de l'oeil...dans les documents), création d'une «agence» qui gèrerait des opérations conjointes aux frontières, intégration de la gestion des flux migratoires dans les relations de l'UE avec les pays tiers, aides financières aux pays du Sud pour le contrôle des frontières maritimes etc., sont la panoplie d'instruments pratiques que les 25 entendent faire jouer à l'avenir pour se barricader contre l'augmentation incessante du nombre de demandeurs d'asile et d'immigrants venant des autres continents. Londres souhaiterait même voir, mise en place, des «zones régionales de protection», près des pays d'origine des demandeurs d'asile, et d'instaurer des «centres de transit» chargés de traiter les requêtes aux frontières extérieures de l'Union européenne. Il reste que le volet du partage des coûts au-delà de 2006 divise profondément les pays de l'UE qui, de surcroît, ne sera que superficiellement évoqué durant ce sommet. Seule proposition constructive dans cet arsenal dissuasif en gestation contre l'immigrant potentiel en Europe, celle émanant de la présidence grecque de l'UE, visant à convaincre les autres gouvernements de reconnaître la nécessité d'une immigration légale, notamment pour des raisons économiques et démographiques. Quant aux considérations humanitaires, la théorie de l'humanité utile et de l'humanité inutile est là pour les évacuer et, plus grave, les justifier.