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Entre les Andalousies de Berque et la logique marchande
UNION POUR LA MEDITERRANEE
Publié dans L'Expression le 14 - 07 - 2008

"Aux peuples de la Méditerranée qui n´arrivent pas à sortir des cycles infernaux de la vengeance et de la haine. À tous les Méditerranéens qui rêvent de paix et de fraternité, qui ne voient partout que la guerre de tous contre tous, à tous les Méditerranéens pétris de tolérance et d´humanisme et qui se désespèrent de ne rencontrer que l´intolérance et l´intégrisme, je viens dire qu´il n´est plus temps de parler mais d´agir." Nicolas Tanger, le 25 octobre 2007.
La Méditerranée est un lac.., dit-on, mais pas seulement, car c´est un lac que les navires empruntent bien plus comme une "route" que pour relier ses rivages entre eux. À chaque instant, au moins 2000 bâtiments commerciaux dont 300 pétroliers, sont en circulation sur la Méditerranée. Le nombre annuel des traversées peut être estimé à plus de 200.000. On nous annonce que le Sommet de Paris pour la Méditerranée s´est ouvert en grande pompe au Grand Palais avec plus d´une quarantaine de chefs d´Etat et de gouvernement. Souvenons-nous, Nicolas Sarkozy a évoqué pour la première fois, publiquement, son projet d´Union méditerranéenne le 7 février 2007 à Toulon. Le soir de sa victoire, le 6 mai, Il a lancé un appel en faveur de "ce grand rêve de civilisation", qui serait "un trait d´union entre l´Europe et l´Afrique". Pour la première fois dans l´histoire, la France a réussi- non sans mal- à faire asseoir à la même table des adversaires: le plus grand bénéfice est en fait tiré par Israël à qui la France a donné une légitimité définitive en l´imposant aux pays arabes. C´est tout ce que, de mon point de vue, on retiendra de cette kermesse une fois les lampions éteints.
Des questions
On sait que dès le départ, beaucoup de pays européens ont été agacés par l´initiative française, à commencer par la Commission européenne. Tout a été fait par l´Allemagne pour vider de son sens une initiative qui devait ne réunir que les riverains de "Mare Nostrum". Souvenons-nous le Processus de Barcelone, mis en place après l´euphorie des Accords de Madrid et d´Oslo qui devaient définitivement régler le problème palestinien; il est mort de sa belle mort sans qu´on ait fait l´autopsie du fait que la politique européenne fut de plus en plus dictée par les pays du Nord (Grande-Bretagne, Allemagne) pour qui l´élargissement ne peut et ne doit se faire qu´à l´Est. Des tentatives de réanimation -Processus 5+5 et autres- n´ont rien pu faire du fait que le barycentre de l´âme de l´Europe s´éloigne de la Méditerranée pour la direction de l´Oural. Comment voulons-nous construire la Méditerranée avec un président letton ou tchèque ou encore polonais pour qui la Méditerranée est une frontière qui les préserve des Barbares. Souvenons-nous d´un commissaire européen qui déclarait récemment à propos de la tentative vaine de la Turquie de rejoindre l´Europe:
"Nous les avons arrêtés à Vienne en 1683, nous les arrêterons encore en 2007! " Plusieurs questions fondamentales ne sont toujours pas réglées. Dorothée Schmid, en détaille cinq: 1/ Où sera le siège de l´Union pour la Méditerranée? Rien n´est tranché. 2/ Comment seront financés les projets? Ils coûtent chers (le budget d´un premier projet de dépollution s´élèverait, par exemple, à deux milliards d´euros). Or, la Commission européenne et les grandes capitales refusent que cet argent soit prélevé sur les sommes allouées à la politique de voisinage (et consacrées aux pays de l´Est de l´Europe). 3/ Quel rôle jouera la Commission européenne? Là encore, rien n´est décidé. On ne sait pas si finalement Bruxelles aura un rôle de coordination ou de simple assistance. Plus généralement, on ignore comment l´UPM s´insérera dans la structure de l´Union européenne. 4/ A quoi servira le secrétariat? Paris voudrait que, quel qu´en soit son siège, le secrétariat de l´UPM joue un rôle politique, alors que Bruxelles entend qu´il se cantonne aux aspects purement techniques. 5/ L´UPM est-elle la suite du Processus de Barcelone ou pas? Paris demeure ambigu à ce sujet. Officiellement, le projet s´appelle toujours "Processus de Barcelone: Union pour la Méditerranée", les Français le jugent totalement discrédité".(1).
Nous pourrions ajouter, pour notre part, la cacophonie qui règne de l´autre côté, notamment des pays arabes. Qui coordonne? Quels sont les projets qui intéressent les "Méditerranéens d´en bas"? Qui financera? Je ne suis pas sûr que la dépollution de la Méditerranée, ou les autoroutes de la mer ou même le solaire soient une priorité. Il est évident que les priorités des pays du Sud sont surtout des priorités de survie au quotidien. Englués dans leur contradiction, se jalousant et voulant toujours apparaître comme des pays crédibles, ils n´ont véritablement pas de projets de société, de cap pour l´avenir. L´essentiel pour eux est la course aux "honneurs", de se faire bien voir, ne récolter que les subsides, voire abriter une institution future de cette -des-union- dans la misère morale qu´ils imposent à leur peuple. A titre d´exemple, de la servilité, c´est l´Union Européenne - en fait, sur proposition du président Sarkozy- qui décide que du côté du Sud c´est Hosni Moubarak le président, pour éviter une présidence à vie et avoir en face un jour El Gueddafi dont personne au Nord ne veut, ou encore Olmert que ceux du Sud ne veulent pas -hypocritement pour la plupart - avoir comme leader des pays du Sud. Nous pourrions aussi, nous poser la question: pourquoi Israël a décidé de participer à cette kermesse? Deux raisons pourraient expliquer cela. La raison politique: " On sait, écrivent Natalie Nougayrède et Gilles Paris, que Nicolas Sarkozy veut promouvoir le rôle de l´Europe au Proche-Orient, à l´occasion de la présidence française de l´Union européenne. Le discours de M.Sarkozy devant la Knesset, le 23 juin, tout comme celui qu´il a prononcé en novembre 2007 devant le Congrès américain, a reflété ses convictions personnelles, une disposition à exalter ces deux pays, Israël et les Etats-Unis, leurs valeurs, leur histoire. Le président n´est pas allé jusqu´à parler, devant les députés israéliens, d´un gel "total et immédiat" de la colonisation (alors que cela figurait dans la version initiale de son discours). Il a parlé de "Jérusalem, capitale de deux Etats", mais il a omis que l´Etat palestinien devait être délimité "sur la base de la ligne de 1967". M.Sarkozy use de deux cartes: celle du dialogue qu´il a renoué avec la Syrie à propos du Liban, et celle de sa fermeté absolue sur le dossier nucléaire iranien, un gage pour Israël...Les dirigeants israéliens ont aussi bien accueilli Nicolas Sarkozy, c´était avant tout parce qu´il fournissait deux assurances: la solidarité de la France face au danger iranien et la garantie que Paris oeuvrerait pour la conclusion d´un accord de partenariat renforcé entre l´Union européenne et l´Etat juif."(2)
La deuxième raison tient à "l´obsession de la spécificité d´Israël". Une de plus! La participation d´Israël à cette Union ne doit pas cacher la singularité des relations d´Israël avec l´Union européenne. En un mot comme en mille, Israël demande à être considéré comme un Etat Européen délocalisé. Des négociations spécifiques et en catimini semblent donner corps à cette demande. Le député français Francis Wurtz a levé un coin du voile en dénonçant cette conspiration du silence, écoutons-le: "Permettez-moi de m´adresser à vous au sujet d´un fait relaté dans différents organes de presse européens et qui appelle, à l´évidence, une clarification urgente. Il apparaît que des négociations secrètes sont en cours depuis un an entre l´Union européenne et les dirigeants de l´Etat d´Israël. Non pas, hélas, pour tenter de débloquer le processus de paix avec les Palestiniens - à cet égard, on ne peut que vivement déplorer l´impunité dont bénéficient les autorités israéliennes, malgré les violations lourdes et permanentes du droit international dont elles se rendent coupables -, mais pour examiner une demande proprement inimaginable de la part de Tel Aviv: celle de conquérir les droits d´un quasi-Etat membre de l´Union européenne! Selon certaines sources, il semblerait qu´Israël ne demande rien de moins que sa participation à tous les niveaux aux réunions de l´UE sur les questions de sécurité et de dialogue stratégique; aux délibérations du Conseil sur le Maghreb et le Mashrek comme sur les activités de l´UE au sein de l´ONU! Tel Aviv demanderait, en outre, à pouvoir participer aux Conseils traitant de thèmes comme l´économie, les finances, l´énergie, l´environnement, les transports, les medias, la jeunesse, l´enseignement supérieur; ou encore à voir constituer une structure parlementaire conjointe Union européenne - Israël...J´ajoute que l´on apprend que la demande israélienne en question date... du 5 mars de l´année dernière; qu´un "groupe de réflexion" s´est réuni sur le sujet le...4 juin 2007. Et tout cela sans que la moindre information n´en ait été donnée à la représentation parlementaire de l´Union!Or, le 16 juin prochain, le Conseil d´Association Union européenne-Israël doit se réunir pour examiner officiellement ce dossier".(3)
Tout pour Israël
Israël veut en investir toutes les instances internationales. Ni la Feuille de route du Quartette, ni les rencontres internationales de tout ordre n´ont pu l´amener à la raison. Israël exige un "upgrading" indécent et personne ne peut opposer d´arguments à cet upgrading, contesté par Véronique De Keyser, députée européenne belge (PS), membre de la Commission des Affaires étrangères, dans un communiqué de presse étrange, à propos de la " Revalorisation de la position d´Israël au sein de l´Union européenne " et publié le 20 mai 2008 où elle déclare: " Si cela se vérifie, je suis choquée!" Même appréciation de la sénatrice française Monique Cerisier-Ben Guiga qui déclare: "...Le projet d´Union pour la Méditerranée ne se réduit-il pas à une relance à grand spectacle du Processus de Barcelone alors qu´il pourrait être porteur d´espoir? Comment convaincre l´innombrable jeunesse de la rive Sud que nous voulons établir des relations d´égalité et de parité avec leurs pays au moment même où l´Union européenne élabore des moyens juridiques communs pour leur fermer ses portes?...Et voilà que l´Union européenne, à la veille de la présidence française, annonce ce qui se tramait secrètement depuis plusieurs mois: l´approfondissement du partenariat Union européenne-Israël, c´est-à-dire un statut de quasi-membre de l´Union pour ce pays. Avons-nous oublié les exigences auxquelles l´Union soumet les nations qui veulent adhérer, aussi bien en ce qui concerne leurs relations avec leurs voisins que le traitement de leurs minorités? Nous condamnons la colonisation de la Cisjordanie mais nous laissons nos entreprises y prêter la main!"(4)
Pourtant la paix et la prospérité partagée concernent tous les riverains du Nord comme du Sud: "Pour qu´il y ait un jour la paix, pense Khadija Mohsen-Finan, il faut que ces pays finissent par prendre langue. Mais il y a fort à parier que leur simple coexistence, le temps d´un sommet, ne fera pas beaucoup avancer les choses sur le plan de la paix. On n´est plus dans un monde divisé entre les bons d´un côté et les méchants de l´autre. Est-on dans Barcelone ou non? Or, un projet comme celui de l´UPM ne doit surtout pas avoir de leader. Les relations entre les pays doivent être mises sur un pied d´égalité. Il faudra aussi bien au Nord comme au Sud que l'on cesse d´avoir l´ambition d´un quelconque leadership régional. Déjà, le Maroc veut se distinguer dans l´UPM en se targuant de "son statut avancé" tandis que la Lybie boude dans son coin en se disant autonome de par le fait qu´elle est une puissance pétrolière. Au final, on nous dit qu´il s´agit d´un "Barcelone+". En quoi consiste ce "+"? ".(6)
Dans le même ordre d´idées, comment peut-on parler de coopération quand des enfants migrants meurent d´insolation ou sont noyés et sont rejetés sur les côtes du Supermarché forteresse de l´Europe sous l´oeil indifférent de tout le monde, au Nord comme au Sud. La sénatrice Alima Boumediene -Thiery a bien raison de s´en prendre à la politique migratoire inhumaine. Ecoutons-la: " Une directive, validée le 5 juin par les vingt-sept ministres de l´Intérieur de l´Union, doit être discutée demain au Parlement européen. Ce texte, dit " directive retour ", instaure des règles communes pour le traitement des étrangers, en situation irrégulière, quels que soient leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur intégration....Autant dire que cette directive viole un certain nombre de droits et principes de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection.
Les droits fondamentaux sont universels. Ils ne peuvent pas s´arrêter aux frontières de l´Europe, ni ne s´appliquer qu´aux seuls citoyens européens".(5) A contrario, Jules Ferry au Sénat français vers 1885 disait "Les droits de l´homme ne sont pas valables dans les colonies" Nous voulons conclure avec Jacques Berque pour qui l´Union méditerranéenne plonge ses racines dans une "civilisation islamo-méditerranéenne" qui apparaît chez lui comme une synthèse de celles qui l´avaient précédée. Tant il est vrai qu´elle a su s´en approprier la substance, l´enrichir et la transformer dans le sens d´une perspective universelle. C´est ce qui devait aboutir, en particulier au rayonnement d´une Andalousie arabo-amazighe (VIIIe-XVe siècles) ayant illuminé l´Europe et contribué peu à peu à sa renaissance du XVIe au XVIIIe siècles. Aussi, cette "Andalousie où coexistèrent les trois grandes cultures"- judaïsme, christianisme et islam- reste-t-elle, pour Jacques Berque, une "utopie créatrice". En effet, Jacques Berque, soucieux du long terme et de l´épreuve du temps, n´appelle pas "à d´indésirables fusions". Il appelle surtout "à des champs de signification qui ne soient pas si brutalement déconcentrés, mais coïncident avec nos paysages héréditaires". Il appelle, enfin, "à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l´inlassable espérance"(7) (8). C´est beau, c´est noble, c´est généreux. Nous voulons y croire.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Dorothée Schmid,:UPM: les cinq questions en suspens Le Nouvel Obs, 11 juillet 2008
2.Natalie Nougayrède, Gilles Paris Le pari proche-oriental de la France. Le Monde 11.07.2008
3.F.Wurtz: Lettre à MM.Sarkozy, Barroso et Solana, Négociations secrètes UE/Israël. 13/06/08
4.Monique Cerisier-ben Guiga.Sénat Français 17 juin 2008.
5.Mme Alima Boumediene-Thiery. http://www.senat.fr/cra/s20080617/s20080617_0.html
6.Khadija Mohsen-Finan Interview par Sarah Halifa-Legrand. Le Nouvel Obs. 11 juillet 2008.
7.Jacques Berque. Andalousies, Sindbad, pp.42-43, 1981.
8.Ahmed Moatassime L´Union méditerranéenne de Jacques Berque...Libération. 19.10.2007.


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